A la veille de l'élection présidentielle, un groupe de réflexion a réuni chercheurs et diplomates ayant été impliqués depuis de nombreuses années, dans les relations entre la France et les pays d'Afrique du Nord et du moyen orient et appartenant à des sensibilités politiques différentes. Leur point commun est leur conviction que la France se doit d'entretenir des relations politiques, économiques et culturelles fortes avec les pays d'une zone particulièrement sensible où elle a des intérêts vitaux. Il leur est apparu opportun de faire connaître leur analyse sur la situation actuelle de cette région et de proposer quelques pistes de réflexion qui pourraient être utiles à nos décideurs. Tel est l'objet du rapport joint à cette note de présentation.
Le moyen orient et, de façon plus générale, la zone qui s'étend du Maroc à l'Afghanistan a toujours été une région sensible où se sont affrontés l'Orient et l'Occident, mais également les grandes puissances. De 1945 à 1989, elle fut le champ clos de la guerre froide sur fond de conflits israélo-arabes, ce à quoi s'est ajoutée la vision missionnaire de la révolution iranienne. Aujourd'hui, après le 11 septembre et les affrontements militaires qui se sont déroulés en Afghanistan, en Irak puis, tout récemment, au Liban, cette zone se trouve au coeur de turbulences d'une ampleur inconnue jusqu'alors qui représentent non seulement pour les pouvoirs en place mais également pour notre sécurité, au sens large, un défi majeur.
L'Irak est un pays en plein naufrage politique, économique et social ; le Liban est paralysé par le jeu d'influences contradictoires et le spectre de la guerre civile réapparaît ; la sécurité d'Israël a été gravement affectée par son intervention contre le Hezbollah ; la question palestinienne est dans l'impasse ; l'Iran émerge, à travers les communautés chiites et l'affirmation de sa souveraineté nucléaire, comme une menace qui affecte la région et au - delà ; des acteurs non étatiques qui recourent parfois à la violence se sont multipliés ; des États se sont écroulés ou se délitent dans une sorte de processus de "somalisation" ; la menace terroriste s'est globalement amplifiée.
Face à cette situation, les États-Unis, piégés en Irak, sont sur la défensive ; l'Europe est politiquement marginalisée même si son appui à la souveraineté du Liban peut être jugé positivement ; la Russie est de retour dans une zone traditionnelle d'influence ; l'Iran s'affirme comme une puissance régionale et un acteur incontournable.
Il en résulte que les perspectives d'avenir, si les tendances actuelles devaient se confirmer, sont préoccupantes. Après l'échec de la Pax Americana, on peut craindre des évolutions plus radicales : un ordre islamiste, tout au moins dans certains pays, un chaos généralisé. Au mieux se vérifierait une évolution moins extrême comme un processus de dégradation progressif et modulé selon les pays.
De telles évolutions ne sont pas une fatalité. Pour arrêter l'engrenage de violences dans lequel tombe cette région ou la menace d'une telle évolution, il convient que, du côté des pays occidentaux, se développe une politique plus déterminée et soutenue. La France peut et se doit d'y apporter sa contribution.
En conclusion, les turbulences qui affectent le moyen orient ont atteint un niveau de haute intensité qui représente, pour les pays occidentaux et, plus spécialement, pour l'Europe, de grands risques, notamment dans le domaine de la sécurité au sens large du terme : accroissement du terrorisme, perturbations dans notre approvisionnement en hydrocarbures, attaques contre nos forces au Liban, dislocation des États. En Afrique du Nord, la situation paraît plus contrôlée, mais les menaces sont également présentes et tendent à se renforcer comme l'ont confirmé les attentats d'avril 2007 en Algérie et au Maroc.
Traditionnellement très présente dans cette région qui lui est si proche, la France, face à une évolution si préoccupante, se doit d'être active et non pas seulement réactive comme elle a tendu à l'être au cours de la période récente. Pour être une année à risques, 2007 peut également constituer une année d'opportunités qu'il nous appartient de saisir.
Les États-Unis, enlisés en Irak, sont conduits à adopter un comportement plus pragmatique dans leur approche de la région et, en particulier sur la question palestinienne, à prendre davantage en compte les vues de leurs partenaires occidentaux. L'Union Européenne, sous présidence allemande, se veut d'ailleurs plus présente tandis que le monde arabe, sous l'impulsion de l'Arabie Saoudite qui a réussi, notamment, à intégrer dans un même gouvernement palestinien le Fatah et le Hamas, évolue vers des positions sur lesquelles nous pourrions nous rejoindre à la faveur d'un dialogue intensifié. En Iran, les éléments les plus durs, dont le chef de file est le Président Ahmadinejad, se heurtent à une contestation interne mesurant les risques d'un isolement international. Aussi l'initiative peut -elle et doit -elle être reprise, en partenariat, notamment, avec ceux qui, en Europe, partagent nos préoccupations, dans une démarche prenant bien entendu en compte le fait que les États-Unis demeurent pour la région un acteur incontournable.
Cinq ans et demi après les attentats du 11 septembre 2001, le bilan de "la guerre contre le terrorisme" paraît bien sombre au moyen orient. Les combats font rage en Afghanistan, le nombre de tués ne cesse d'augmenter, l'influence des talibans s'étend. En Irak, la situation est encore plus préoccupante : le pays s'enfonce dans la guerre civile. Le Liban a été ravagé par le conflit de l'été 2006 et les clivages internes ont débouché sur une guerre civile silencieuse. Enfin, en Palestine, aucune avancée vers un règlement politique n'a été effectuée, tout au contraire. Si l'on ajoute, aux deux "extrêmes", le Pakistan et la Somalie, ainsi que la vaste zone du Sahara, on voit se dessiner un arc de crises ouvertes, une extension du domaine des guerres, une simultanéité de celles -ci, sans précédents dans l'histoire de la région.
De multiples liens s'établissent désormais entre chacun de ces conflits ; les hommes et les idées circulent d'un bout à l'autre de l'arc. Ainsi, le développement des attentats-suicides en Afghanistan ( inconnus pendant les dix ans de lutte contre l'occupation soviétique ) est la conséquence directe de l'expérience irakienne ; l'affrontement entre milices chiites et sunnites en Irak a contribué à creuser le fossé entre les deux communautés dans toute la région, particulièrement au Liban. L'autonomie du Kurdistan irakien facilite la reprise des activités du PKK en Turquie. Les ingérences iraniennes au Liban s'accentuent avec les pressions exercées par les États-Unis sur le dossier nucléaire. Enfin, la question palestinienne reste, pour les opinions et les dirigeants, l'enjeu symbolique essentiel et sa résolution demeure la condition nécessaire à toute stabilisation de la région.
Dans ces crises, on assiste à la multiplication des acteurs non étatiques : le rôle des groupes armés en Afghanistan, en Irak, au Liban et en Palestine rend toute solution politique plus complexe que s'il s'agissait de négocier avec des États, d'autant que ces groupes sont soumis à la surenchère terroriste d'Al Qaîda. De plus, et la situation à Gaza comme au Liban le prouve, la possession par ces groupes de matériels parfois sophistiqués modifie les rapports de forces militaires : ainsi, pour la première fois depuis la guerre de 1948 - 1949, une fraction importante de la population israélienne a d'abandonner ses foyers ou vivre dans des abris. L'hypothèse d'une "somalisation" d'une partie de la région ne peut être écartée dans un contexte de repli sur des bases communautaires, confessionnelles ou tribales.
L'affirmation de la puissance iranienne a été amplifiée par les résultats de l'intervention américaine en Irak. En éliminant deux de ses rivaux, le régime de Saddam Hussein et celui des talibans, les États-Unis ont favorisé un "déséquilibre" régional. L'Iran inquiète d'autant plus ses voisins sunnites qu'ils agitent la menace d'un "croissant chiite" allant du Liban à l'Iran en passant par l'Irak et la Syrie, sans oublier les communautés chiites du Golfe. La rhétorique anti- américaine et anti- israélienne du président Ahmadinejad rencontre un immense écho dans toute la région, populations sunnites incluses.
La situation régionale est aussi marquée par l'affaiblissement de la crédibilité et la dégradation de l'image des États-Unis, y compris auprès de leurs plus proches alliés. Alors que le Président Bush a encore vingt mois devant lui, montent les interrogations de l'Arabie Saoudite, de l'Egypte et de la Jordanie à l'égard de l'administration américaine qu'ils n'hésitent plus à critiquer ouvertement. On le constate avec l'affirmation d'une diplomatie saoudienne qui a parrainé les accords de La Mecque et tente de réconcilier majorité et opposition libanaise, sur des bases qui ne sont pas totalement conformes à la politique de Washington. Cet engagement de Riyad ne peut cependant masquer ni la faiblesse des pays arabes traditionnels ( notamment l'Egypte ), ni l'absence de l'Union européenne qui apparaît, sur la plupart des dossiers, soit paralysée, soit à la remorque des États-Unis. L'effacement relatif des États-Unis offre cependant une occasion à d'autres puissances ( la Russie, la Chine, la France, l'Union européenne ) de pouvoir jouer un rôle sur tel ou tel dossier.
Cette situation de crises est d'autant plus préoccupante qu'elle survient dans une région bloquée politiquement, socialement et économiquement. Le moyen orient est la seule partie du monde qui n'a connu aucune alternance politique réelle depuis la chute du mur de Berlin : les mêmes dirigeants ( ou leurs fils ) sont au pouvoir, appuyés sur des structures clientélistes et répressives d'une indéniable efficacité. D'autre part, les retards dans tous les domaines du développement s'accumulent, comme le rappellent les différents rapports du Programme des Nations unies pour le Développement, suscitant le désespoir des populations, notamment des jeunes et des personnes qualifiées, qui cherchent dans l'émigration à tout prix la solution de leurs problèmes. La principale force d'opposition organisée et disposant d'un soutien populaire est représentée par les mouvements islamistes, notamment les Frères musulmans, qui sont cantonnés aux marges du pouvoir. La rhétorique "nous ou la dictature islamique" maniée habilement par les régimes en place trouve une oreille complaisante aux États-Unis comme en Europe, d'autant que les oppositions nationalistes, libérales et progressistes se sont très sensiblement affaiblies. Cette absence totale de perspectives collectives et individuelles alimente aussi les discours d'Al Qaîda et permet à cette organisation terroriste, en fonction de situations locales, de relancer périodiquement des attentats déstabilisants, du Maroc à l'Arabie Saoudite.
La position singulière de la France en Méditerranée et dans le monde arabe est un legs de l'Histoire. Elle procède tout à la fois de notre présence séculaire au Levant et de la colonisation française en Afrique du Nord. Sur la base de cet héritage s'est développée une politique marquée d'une grande continuité et bénéficiant d'un réel consensus. Notre pays n'en est pas moins confronté dans cette région aujourd'hui à des défis politiques, économiques et culturels majeurs.
Notre réseau diplomatique reste le plus implanté à côté de celui des États-Unis. Notre présence culturelle et commerciale est certes concurrencée, mais demeure primordiale. Des centaines de milliers de Français vivent et travaillent dans la zone. La France y conduit avec presque tous les pays des opérations de coopération ambitieuses ( coopération multiforme au Maghreb, politique libanaise, relation étroite avec l'Egypte, coopération militaire avec les pays du Golfe, intérêts énergétiques, etc. ).
La diplomatie française, à l'exception de celle des États-Unis, est incontestablement la plus active et la plus constante dans les prises de positions régionales. Elle a à son crédit, de la déclaration de Venise à l'accueil d'Arafat à Paris, de notre action au Liban à notre position sur l'Irak, un ensemble d'initiatives saluées par la communauté internationale. Cette politique arabe et proche-orientale participe à notre image internationale et lui vaut tout à la fois crédibilité, authenticité et soutien, mais aussi contestation dans le camp occidental.
L'Institut du Monde Arabe à Paris, institution intergouvernementale cogérée avec nos 22 partenaires arabes, est une magnifique vitrine de cette politique avec tout ce qu'elle comporte comme atouts en termes de réalisation mais aussi de difficultés en terme de gestion.
Les relations nouées depuis des siècles dans la région nous valent assurément estime et considération. Elles suscitent aussi des attentes et des déceptions.
Au Maghreb, les gouvernements attendent de nous concours et, pour chacun d'entre eux, soutien exclusif. Les populations sont plus attentives à la coopération, à la liberté de circulation et à la situation des immigrés chez nous.
Au proche orient, nos prises de parole sont scrutées et analysées dans le détail. Nous y sommes attendus, sollicités et espérés tant l'image d'une France compagnon de route des grandes causes arabes demeure encore enracinée.
L'approche est différente dans le Golfe où nous sommes vus comme un partenaire privilégié pour se soustraire à un tête-à-tête trop exclusif avec les États-Unis.
Les perspectives pour la France dans tous les domaines y sont remarquables. En témoignent tout récemment les opérations du Louvre et de la Sorbonne à Abou Dhabi.
En dépit des relations nouées par le Président Chirac, de l'investissement personnel et politique consenti pendant les quinze dernières années, la relation semble désenchantée et incertaine.
Sans doute payons -nous le prix d'une personnalisation excessive et généralisée de la relation politique. Nous avons fait un usage extensif des termes de coopération privilégiée, d'alliances exceptionnelles et de liens personnels au risque de diluer nos priorités, de banaliser notre relation et de donner le sentiment d'une politique plus théâtrale que concrète.
Mais ce constat, pour être équilibré, doit aussi conduire à reconnaître que la qualité et la chaleur des relations entretenues depuis quinze ans demeureront dans les esprits comme une référence positive, même s'ils s'accompagnent d'une certaine perte de sens de la coopération franco- arabe. Nous n'avons plus, comme au temps du Général de Gaulle, une vision précise de ce qui fait l'originalité, la constance et la force de notre rapport avec le Maghreb ou avec l'Egypte. Il faudra, à l'évidence, reconstruire un système de priorités, redéfinir une perspective, se fixer des objectifs intelligibles et réalisables pour nos opinions afin de combattre également une certaine lassitude de notre propre côté.
En forçant le trait, nous jouons un rôle majeur dans les problèmes mineurs et un rôle mineur dans les problèmes majeurs. L'exemple palestinien est le plus probant même si le cas libanais semble le contredire.
A l'échelle de la zone, on peut se demander si nous n'avons pas laissé s'effriter la priorité qui nous lie naturellement au Maghreb. Sans doute la coopération y reste -t-elle importante en chiffres ; mais l'investissement politique, la place dévolue à la relation économique, la valeur de l'aide française ne semblent pas à la mesure de ce que représente et représentera le Maghreb pour notre sécurité, notre prospérité et aussi pour l'harmonie de notre construction nationale au XXIe siècle.
Plus généralement, nous semblons avoir perdu de vue la cohérence de la construction euro - méditerranéenne. Nous avons laissé ce partenariat s'enliser sans marquer autant que nous aurions pu le faire l'importance majeure qu'il revêt à moyen terme pour la France et pour l'Europe. De même, nous avons semblé nous résigner à ne figurer qu'à la marge dans les problèmes globaux de la région.
Ainsi, nous avons eu un rôle déclamatoire tout à fait estimable sur les grands conflits palestinien et irakien, mais nous n'avons guère pesé sur le cours des événements, même si notre position sur le dossier irakien, à côté de celle d'autres pays européens et du Vatican, a affaibli tous ceux qui parlaient de la guerre en Irak comme d'un conflit de civilisation. De la même façon, la question iranienne et la défense du Traité de Non Prolifération nous ont permis un ensemble d'initiatives remarquées au niveau européen. Mais nous n'avons pas abordé, comme cela sans doute aurait pu se faire, le problème plus large mais essentiel d'un système de sécurité collective régionale ; et nous n'avons même pas tenté de relancer l'initiative d'une charte de sécurité en Méditerranée dont nous étions pourtant les initiateurs.
Enfin, sur le plan de la culture, de la communication, du rapprochement des sociétés, nous avons pratiquement abandonné au niveau national comme au niveau européen l'entreprise urgente de constitution d'une politique d'échange et de dialogue avec les sociétés de la rive Sud de la Méditerranée.
Plus généralement, notre diplomatie demeure marquée par le passé et ne semble pas assumer les défis de la relation euro - arabe dans le siècle qui s'ouvre. Nos partenaires ne sont pas seulement les héritiers de la relation historique de la France du XIXe avec le monde arabe de Mohamed Ali. Nous devons penser qu'ils sont et qu'ils seront de plus en plus des membres des jeunes élites américanisées du Golfe et du Maghreb ou des élites islamisées de la région.
Tout exercice d'anticipation sur une zone aussi sensible que le moyen orient est à l'évidence très risqué. Il ne peut être abordé qu'avec prudence et humilité. Sur la base de la situation particulièrement préoccupante qui prévaut au moyen orient et des tendances actuelles, plusieurs scénarios peuvent être théoriquement envisagés.
Dans ce scénario, l'administration Bush atteint ses objectifs. La démocratie s'étend au moyen orient : des gouvernements responsables devant des parlements bien élus s'installent progressivement et remplacent peu à peu les régimes dictatoriaux ou les monarchies absolues. Les politiques de réforme progressent et contribuent à asseoir la prospérité économique et la stabilité politique. Les islamistes jouent le jeu démocratique, s'assagissent, font élire quelques députés dont l'influence reste limitée. Le conflit israélo-palestinien connaît une avancée décisive vers un règlement. Le terrorisme disparaît aussi bien dans la région que dans les pays occidentaux. L'Iran renonce à sa "souveraineté nucléaire" et conclut un accord de coopération dans le domaine civil avec les États-Unis et l'Europe. Ce scénario est évoqué pour mémoire tant la réalité est loin des objectifs affichés lors du lancement de l'initiative américaine sur le "Grand moyen orient".
Les partis islamistes s'appuient sur la désaffection des opinions envers leurs dirigeants accusés de complaisance envers les États-Unis, voire l'Europe. Mobilisant des réseaux d'influence qu'ils contrôlent et forts d'une organisation structurée, ils prennent le pouvoir ou participent à des gouvernements où ils tiennent les postes sensibles dans plusieurs pays : ils imposent un ordre moral et social. Le conflit israélo-palestinien est formulé en termes religieux comme un affrontement judéo-musulman, voire en choc des civilisations. Israël voit sa sécurité menacée par des attentats fréquents et une opposition de plus en plus affirmée des Arabes israéliens gagnés à l'islamisme politique. Sa population diminue en raison d'un flux croissant d'émigrants causé par la peur d'une insécurité généralisée. Le régime des ayatollahs se renforce au profit des éléments les plus conservateurs. L'Iran acquiert des capacités nucléaires lui permettant de se doter de l'arme atomique, ce qui entraîne d'autres puissances régionales à faire de même. Des républiques islamiques s'installent, notamment en Irak et en Egypte. En Arabie saoudite, les éléments les plus rétrogrades de la famille royale contrôlent le pouvoir.
Dans ce scénario, la situation continue de se dégrader dans tous les pays. Les États-Unis s'engagent dans une série d'aventures militaires qui tournent mal, notamment en Iran et peut - être en Syrie. Leurs troupes s'enlisent dans la guerre, se bunkerisent dans quelques places fortes d'où elles ne sortent que par intermittence pour s'en prendre aux repaires d'où attaquent terroristes et insurgés. Al Qaîda et ses émules amplifient leurs actions, y compris dans les pays occidentaux, et déstabilisent des régimes dans la région même. Un certain nombre de pays se fracturent : un Kurdistan indépendant est créé englobant la région de Kirkouk ; le reste de l'Irak est aux mains de différentes milices qui se partagent le contrôle du territoire, ce qui subsiste de gouvernement renonçant à intervenir. L'Arabie Saoudite éclate en quatre pays pratiquement indépendants, le Hedjaz, le Najd, le Najran et le Hasa, ce dernier devenant un protectorat pétrolier américain. La guerre civile reprend au Liban. Les minorités chrétiennes quittent le moyen orient. En Iran, les ayatollahs font face à de graves incidents : la réaction contre le pouvoir islamique tourne à la guerre civile. Compte-tenu de l'insécurité qui rend aléatoire l'exploitation des champs pétroliers et qui décourage les nouveaux investissements, le prix du pétrole dépasse largement 100 $ / le baril. Les acteurs violents non étatiques étendent leur influence, entraînant le moyen orient dans un processus de "somalisation". Les Territoires palestiniens éclatent en entités contrôlées par le Hamas et les différentes factions du Fatah. Israël, malgré la barrière de séparation, est touché par des attentats de plus en plus fréquents dont certains sont le fait d'Arabes israéliens. En représailles des expulsions sont décidées. Des groupes armés étendent leur influence au Liban, en Jordanie, au Soudan, au Maghreb et dans certaines zones de la péninsule arabique.
Israël, face aux menaces croissantes provenant de son environnement, décide de reprendre l'initiative en frappant les installations nucléaires iraniennes, d'en finir avec l'Autorité palestinienne et de pourchasser le Hezbollah au Liban.
Le statu quo, au sens strict du mot, est peu concevable tant les équilibres existant sont précaires ; mais les évolutions sont moins brutales. Les Territoires palestiniens sont progressivement "grignotés" par Israël. Dans certains pays arabes, les pouvoirs en place, se sentant menacés, arrêtent les processus de réforme et l'ouverture politique : les oppositions sont durement réprimées ce qui entraîne des troubles sporadiques. Dans d'autres pays, les "frémissements démocratiques" se poursuivent dans un climat apaisé. Grâce à l'entremise de l'Arabie Saoudite, un calme précaire est rétabli au Liban et dans les Territoires palestiniens sans que les problèmes de fond soient résolus. En Irak, la situation reste difficile mais les violences baissent en intensité sans pour autant que le gouvernement contrôle la situation. Le terrorisme qui se réclame d'Al Qaîda poursuit ses actions sur les différents fronts. Ainsi, comme c'est le cas actuellement, des zones de stabilité ( Israël, Syrie, Tunisie, Arabie saoudite, Jordanie, Maroc ) côtoient des zones de turbulence plus ou moins contrôlées ( Territoires palestiniens, Irak, Afghanistan, Liban ). Les zones de turbulences restent circonscrites. Mais la tendance générale est une lente dégradation avec des périodes de crise suivies de rémissions temporaires.
Dans les faits, il est probable qu'aucun de ces scénarios ne se réalisera, même s'ils ont leur propre cohérence. L'hypothèse la plus probable sera sans doute composite, empruntant des éléments à chacun d'entre eux, avec des situations très variables d'un pays à l'autre. Mais il est certain que le moyen orient restera encore pendant de nombreuses années une zone d'instabilité : l'influence des mouvements islamistes persistera, les ressentiments anti- occidentaux resteront forts, le risque terroriste à l'intérieur et à l'extérieur de la zone perdurera, l'évolution du marché des hydrocarbures restera sensible à la conjoncture politique, le sentiment d'une menace insidieuse persistera dans les pays occidentaux. Le pronostic général reste inquiétant si rien ne vient infléchir les tendances actuelles.
Malgré un contexte particulièrement difficile, il n'y a pas en Afrique du Nord comme au moyen orient de fatalité. Que faire pour que les évolutions se fassent dans le bon sens ? Quelle contribution la France peut -elle apporter à une action internationale visant à faire du moyen orient une région où réformes politiques, paix et développement économique puissent devenir des réalités ?
Des leçons du passé et de la situation présente on peut tirer quelques principes d'action :
L'ampleur et la diversité de nos instruments administratifs et financiers au Maghreb est telle qu'un pilotage interministériel spécifique est nécessaire pour en assurer la mobilisation optimale. Il pourrait, à cet égard, être opportun de mettre à l'étude la création d'un "Secrétariat Général de Comité Interministériel" ( SGCI ) pour le Maghreb destiné à se transformer à terme en "SGCI Méditerranée" qui pourrait être piloté par le ministère des Affaires étrangères.
Cette gestion interministérielle s'impose d'autant plus que la France se doit d'être "plus maghrébine" que chacun de ses trois partenaires majeurs au Maghreb en prenant elle -même l'initiative de projets nécessaires d'intégration régionale ( infrastructures, communication, formation, ... ) que ces États sont trop divisés pour promouvoir à ce stade. Cette capacité de proposition et d'initiative de notre pays s'appuiera sur l'allocation à une enveloppe régionale d'une partie des crédits jusqu'alors déboursés à titre bilatéral. Cette approche régionale doit permettre de renouveler l'engagement de la Commission européenne, le coût du "non- Maghreb" étant évalué à au moins un point de croissance annuelle.
Parallèlement à cet affichage de la dimension maghrébine de notre action extérieure, il convient d'introduire plus de souplesse dans le dispositif de traitement des crises régionales. La division actuelle des Affaires étrangères en directions géographiques place l'Iran et le Golfe en "Afrique du Nord / Moyen Orient" ( ANMO ), l'Afghanistan et le Pakistan en Asie et les républiques d'Asie centrale en Europe. Les problématiques évidemment partagées dans la même zone de crise doivent s'accompagner de la mise en place d'équipes transversales auxquelles seraient associées la direction stratégique et la direction générale de la coopération et du développement ( DGCID ).
Par ailleurs, un diplomate de haut niveau pourrait être affecté au suivi permanent des questions islamiques. Il lui reviendrait d'assurer la liaison avec les organisations islamiques internationales ( OCI ) ou non- gouvernementales, notamment en assistant comme observateur à leurs conférences ou séminaires. Ce "conseiller aux Affaires islamiques" aurait aussi pour mission d'expliquer et de présenter la situation de l'Islam de France qui est trop souvent l'objet de polémiques ou de préjugés à l'étranger.
La télévision francophone TV5 Monde diffuse ses programmes sur 8 signaux dont l'un, TV5 Orient, est propriété française. Ce signal pourrait être entièrement consacré à une diffusion bilingue arabe français, le coût d'une rédaction spécifique étant évalué à 9 millions d'euros ( l'actuelle rédaction en français de TV5 Monde, forte d'une soixantaine de journalistes, revient à 11 millions d'euros, dont les deux tiers pour la France et un tiers pour les partenaires francophones ). Les signaux TV5 Europe et TV5 Asie couvrant respectivement le Maghreb et le proche orient, le public attaché à une diffusion purement francophone n'en serait pas privé par l'arabisation de TV5 Orient qui toucherait, en revanche, une audience nettement plus vaste dans une zone formidablement téléphage.
Quant à Euronews, qui est devenue la deuxième chaîne d'information d'Europe en diffusant ses programmes en sept langues, un budget de 4 millions d'euros lui permettrait de disposer d'un signal spécifique en langue arabe. Une dotation supplémentaire de 4 millions d'euros assurerait enfin à RMC-Moyen Orient ( au budget actuel de 11,6 millions d'euros ) la possibilité de monter en puissance sur internet, processus que la radio américaine Sawa a anticipé habilement, décrochant la première place au proche orient. Ces trois chantiers médiatiques ( TV5 Orient, Euronews et RMC-MO ) reviendraient à un coût global de 17 millions d'euros France 24, dont la dotation annuelle est déjà garantie à 80 millions d'euros, pourrait également développer sa diffusion en langue arabe, initialement limitée à quatre heures quotidiennes. Une coordination d'ensemble de ces différents médias s'impose.
La presse écrite panarabe, dont de nombreux titres étaient installés il y a vingt ans à Paris, est désormais centrée sur Londres. Quant aux chaînes satellitaires du Golfe, de type Al Jazira ( Qatar ) ou Al Arabiyya ( Dubaï ), elles ont conquis une popularité impressionnante, entre autres au Maghreb. Les diplomaties anglo- saxonnes, mais aussi Israël, accordent une importance prioritaire à ces médias panarabes, où ils s'efforcent d'intervenir systématiquement en langue arabe. Malgré le préjugé favorable à l'endroit de la France, nous sommes pratiquement absents de ces médias.
Il convient de mobiliser nos ressources en expertise linguistique et régionale pour occuper de manière beaucoup plus déterminée cet espace stratégique. Une unité spécifique devrait être créée au sein du ministère des Affaires étrangères pour procéder à un travail systématique de veille et de réaction, aujourd'hui trop fragmentaire et ponctuel. Une "public diplomacy" en langue arabe, avec participation aux débats les plus controversés, est essentielle pour retrouver une visibilité télévisuelle et une lisibilité politique. A côté des personnalités qualifiées par leurs fonctions, les experts français, souvent très respectés à l'étranger, devraient naturellement être associés suivant le thème de l'émission.
La France dispose au coeur de Paris d'un instrument d'influence et de diffusion incomparable que plusieurs pays européens ont décidé d'imiter. L'Institut du Monde Arabe ( IMA ) est sur le plan culturel un réel succès : Il s'est pleinement intégré au paysage culturel parisien. Il est cependant victime d'une crise structurelle, administrative et financière liée, notamment, à son statut de fondation franco- arabe. Etablissement à caractère culturel, il a besoin pour fonctionner de recevoir comme toutes les institutions de ce type, des subventions. Il couvre ses frais de fonctionnement par des ressources propres qui financent près de 45 % de ses dépenses, ce qui, pour un établissement de cet ordre, représente une performance très satisfaisante. Même si des progrès peuvent être faits dans sa gestion, son déficit chronique est lié essentiellement à l'insuffisance des subventions qu'il reçoit de ses actionnaires, tant arabes que français. Il importe de le sauver par une réforme tout à la fois financière et juridique : sur le plan financier, un plan de redressement doit être défini en prévoyant une augmentation adéquate de ses moyens ; sur le plan juridique, il convient de dissocier le bâtiment proprement dit, construit et entretenu par la dotation franco- arabe, d'un établissement public de droit français qui serait chargé de la programmation culturelle et de l'animation intellectuelle. Alors que le ministère des Affaires étrangères est aujourd'hui le seul bailleur de fonds de l'IMA, les ministères des Affaires sociales, de l'Education et de la Culture doivent être associés à la gestion et au financement de ce puissant facteur d'intégration et de rayonnement.
Nous abordons une période nouvelle. Le changement des équipes politiques va nous amener à reconsidérer nos priorités, redéfinir nos objectifs, renouveler nos contacts. Cette réévaluation de notre politique régionale doit sans doute prendre en compte nos acquis qu'il s'agit de consolider ainsi que nos atouts pour en assurer la mise en valeur ; mais elle doit surtout être guidée par une vision de notre relation qui soit plus moderne, plus ouverte, plus audacieuse, en tout cas conforme aux intérêts et aux problèmes de notre région commune aujourd'hui et dans les vingt prochaines années.
Nous servons assurément en Europe d'aiguillon dans la définition de la politique de l'Union en direction de l'Afrique du Nord et du moyen orient. Nous avons été jusqu'à présent les promoteurs de nombreuses initiatives et les concepteurs d'une approche équilibrée et légaliste des grands conflits moyen-orientaux à laquelle adhère l'essentiel de nos partenaires européens. Le temps d'une Union Européenne à 6 voire à 15 est cependant révolu et il est clair qu'à 25 ou 27 membres de l'Union les consensus européens sont de plus en plus difficiles à trouver sur les politiques les plus innovantes et les projets les plus ambitieux. En raison de ces entraves, il faudra développer des coopérations renforcées à partir de l'Europe du Sud et des pays les plus motivés de l'Europe du Nord pour tout ce qui a trait à la politique méditerranéenne et proche-orientale de l'Union. Or la France a un rôle majeur à jouer dans l'établissement de ces nouveaux groupes ad hoc au sein de l'UE capables de se mobiliser sur des questions aussi variées et complexes que les négociations nucléaires iraniennes ( formation E3 regroupant la Grande-Bretagne, l'Allemagne et la France ), le processus de paix israélo-palestinien ou la crise syro- libanaise. Notre légitimité sur chacun de ces dossiers est incontestée. Nous bénéficions d'une certaine indépendance de vue, comme nous l'avons témoigné dans la gestion de la crise irakienne, dont probablement la Grande - Bretagne ( en raison de son atlantisme ) et l'Allemagne ( en raison de sa réserve compréhensible sur le dossier israélo-arabe ) ne jouissent pas.
Aussi la France dispose -t-elle en Europe de puissants leviers dont elle doit se servir, en adossant sa politique dans cette région sur des partenaires intéressés et actifs de l'Union ( Italie, Espagne, Suède ou Belgique ) et également la Norvège :
Nous n'avons aucun intérêt à l'isolement ou à un revers des États-Unis. Nous avons au contraire avantage à une sortie de crise en Irak dans l'ordre, même si nous pensons que cette sortie doit, à court terme, passer par une évacuation programmée des forces américaines. Un repli diplomatique des Américains ne serait pas dans l'intérêt de l'Europe. La défaite des États-Unis nuirait d'une manière générale aux positions occidentales ; leur engagement durable et structurant dans la région conforte nos propres positions.
Notre diplomatie a d'ores et déjà engagé son action au Liban et en Syrie dans un étroit partenariat avec Washington. C'est grâce à notre action commune que nous avons pu obtenir le soutien de la communauté internationale lors des votes de toute une série de résolutions au Conseil de Sécurité qui ont constamment soutenu nos positions quant à la souveraineté et l'indépendance du Liban. C'est également avec l'appui des États-Unis qu'a été mise en place la "Finul renforcée" en août 2006, mettant ainsi un terme à la guerre dévastatrice opposant Tsahal au Hezbollah.
Nous ne devons toutefois pas éluder les différences d'approche qui nous séparent de Washington sur un certain nombres de dossiers, c'est-à-dire ne pas craindre de marquer notre indépendance de vue lorsque celle -ci est conforme à nos intérêts, à notre vision de ce qui nous apparaît être un ordre juste et équitable dans la région et à une approche globale des problèmes qui s'y présentent ( ceci s'applique au dialogue nécessairement critique que nous serions amenés à nouer avec les franges islamistes du monde arabe ).
La nouvelle donne en Afrique du Nord et au moyen orient s'accompagne d'un retour spectaculaire de certains acteurs à l'instar de la Russie, trop hâtivement considérée comme sortie du monde arabe et musulman, et d'une percée notable de nouvelles puissances, à savoir la Chine et l'Inde.
S'agissant de la Russie, l'ère Poutine est désormais marquée par une attitude volontariste qui rappelle les grands moments de la politique soviétique en Egypte et en Syrie et se développe désormais aussi dans les pays du Golfe. Les déplacements de Vladimir Poutine à Alger en mars 2006 pour annoncer l'effacement de la dette algérienne envers son pays ( 4,7 milliards de dollars ) et à Riyad en février 2007, la première visite d'un chef d'Etat russe en Arabie Saoudite, témoignent de cette politique que compte poursuivre Moscou dans la région. Les Russes sont désormais présents, entretiennent avec une autonomie assumée des relations avec leurs partenaires régionaux, en Syrie et en Iran, qui servent leurs intérêts et revendiquent le droit à mener une politique indépendante de celles de leurs partenaires dans le P5 ( même s'il ne faut pas y voir un " retour " à la guerre froide ).
La France devra composer avec cette nouvelle donne en mesurant, pour sa propre politique, toute la portée des positions russes vis-à-vis des Syriens ( et à travers eux le Hezbollah ) et les relations complexes qui unissent Moscou à Téhéran. Il est de notre intérêt de développer notre partenariat avec la Russie afin d'ajuster notre propre stratégie au sein du Conseil de Sécurité. S'agissant de la Chine et de l'Inde, l'avancée de ces nouvelles puissances émergentes est fulgurante dans le Golfe, voire en Egypte, au Maghreb et au Soudan. En l'absence d'une prise en considération sérieuse de ces nouveaux partenaires, nous risquons de voir nos propres positions contestées.
Nous devons renforcer notre relation avec les modérés arabes, les pousser à se regrouper et développer les liens avec les organisations susceptibles de rassembler les tenants arabes et musulmans d'un réalisme diplomatique, i. e. la Ligue des États Arabes et l'OCI. Aussi avons - nous vocation à approfondir notre relation avec l'Egypte, la Jordanie et l'Arabie Saoudite car ce sont nos partenaires naturels pour la résolution des crises graves dans la région, en Palestine bien sûr mais également au Liban où nos troupes sont engagées.
Notre objectif est aussi de combattre les conditions qui favorisent et accréditent le "choc des civilisations". Le monde arabe a sa place dans la gestion des affaires du monde. Il doit être incité à traiter des problèmes globaux, à participer au dialogue sur la sécurité régionale. L'idée d'appuyer la demande d'un siège permanent pour le monde arabe au Conseil de Sécurité, même si elle est difficile à mettre en oeuvre, doit être discutée.
Pour ce dialogue étroit avec le monde arabe et musulman, nous ne devons pas être prisonniers des conflits que nous n'avons pas créés, ni adopter des grilles de lecture comme celle d'une confrontation sunnites / chiites. Nous ne pouvons laisser croire à une quelconque ingérence de la France et de l'Europe dans cette querelle. Nous devons rester en contact étroit avec les sunnites qui dirigent la majorité des pays arabes ; mais nous devons à l'évidence ne jamais ignorer les chiites et leurs positions et entretenir avec eux un dialogue permanent.
Au-delà de ces précautions, il convient de donner à ce dialogue un caractère constructif. Même si nous ne pouvons en aucun cas souscrire à leurs prises de positions ni approuver telle ou telle de leur politique, nous devons trouver les moyens d'un dialogue critique avec le Hezbollah et le Hamas sans nous laisser entraver par un formalisme soupçonneux. La question est celle de l'utilité du dialogue et du poids que celui -ci peut avoir sur la politique de nos interlocuteurs comme sur leur capacité à accepter des relations moins conflictuelles et à accepter des compromis. C'est ainsi que nous devrons envisager de parler à ces mouvements islamiques en refusant toute caution aux positions incompatibles avec nos principes et en marquant notre opposition aux aspects de leur politique qui nous paraissent de nature à exacerber les tensions.
Pour ce qui concerne la péninsule arabique, l'Arabie Saoudite et les membres du Conseil de Coopération du Golfe apparaissent, dans cette région troublée qu'est le moyen orient, comme des pays qui conjuguent stabilité, croissance économique et amorce de réformes. En outre, l'Arabie Saoudite, comme on a pu le constater à l'occasion du récent sommet de Riyad, développe une diplomatie active et efficace dans la recherche de solutions aux problèmes que connaît la région. Inquiète des effets de la politique de l'administration Bush, elle tend à prendre ses distances vis-à-vis d'un allié américain qui a déçu et dont la politique est jugée sévèrement. Dans ce contexte, la France devrait renforcer sa présence politique, économique et culturelle dans la péninsule arabique. Elle devrait également se concerter plus étroitement avec l'Arabie Saoudite et appuyer ses initiatives qui vont le plus souvent dans le sens de nos préoccupations.
Il est clair qu'Israël demeure un partenaire majeur au moyen orient et qu'il convient de se concerter étroitement avec lui. Les relations franco- israéliennes se sont fortement densifiées depuis 2003-2004 Une série d'initiatives a permis de surmonter les malentendus du passé, notamment la création de la fondation France Israël.
Il est important de ne pas remettre en cause cette évolution et de poursuivre le rapprochement entre les sociétés à la condition, toutefois, que ce rapprochement ne se fasse pas au détriment de :
Notre comportement vis-à-vis des forces vives est traditionnellement marqué d'une grande prudence, proche de l'inhibition, tenant, notamment, au fait que la préservation de la qualité des relations officielles, c'est-à-dire avec le pouvoir en place, nous apparaît, dans un réflexe diplomatique classique, prioritaire lorsqu'il s'agit d'approcher ce qui ne se situerait pas dans sa mouvance. Dans le cas du Maghreb, s'y s'ajoute le sentiment qu'une longue familiarité ainsi que la diversité spontanée de nos liens nous dispensent, en quelque sorte, de systématiser une approche vers ce qui constitue pourtant le visage actuel des pays de cette région.
Il s'agit d'une lacune sérieuse à laquelle nombre de nos partenaires européens et américains se sont efforcés de remédier sans s'encombrer des scrupules qui demeurent les nôtres. Il est temps de réagir en gardant à l'esprit que l'action publique ne couvre, par définition, qu'une partie du champ à exploiter dans une politique d'influence même si elle peut exercer un effet d'entraînement plus général. Dans la diversité des autres parties prenantes, il convient de souligner le rôle que tiennent déjà et peuvent affirmer davantage les collectivités locales ou les ONG qui développent des coopérations particulières avec plus de souplesse dans le choix des partenaires. Elles méritent d'être encouragées, étant entendu que, sans entraver les initiatives, l'efficacité gagne à ce qu'une vue générale des actions engagées puisse être assurée, ce qui suppose l'information de ce centre naturel qu'est l'Ambassade, elle -même offrant, en contrepartie, ses analyses, ses services et, si nécessaire, son entremise. En même temps, on ne peut penser ni souhaiter une "uniformisation" de la politique d'acteurs aussi différents que les ONG, les collectivités locales et l'Etat ; elle serait contraire à l'objectif poursuivi d'une coopération épousant la diversité de la société civile comme de ses attentes et besoins.
Une des justifications fortes d'un dialogue et d'une coopération ainsi diversifiés dans leur objet comme dans leurs acteurs est, en favorisant les contacts entre les sociétés elles -mêmes, d'encourager leur compréhension mutuelle et l'acceptation d'un échange d'expérience. Notre contribution pourrait ainsi se développer plus aisément dans le domaine de la gouvernance à un moment où existe chez nos partenaires du Sud une réelle demande de réformes et restructuration des administrations. Mais celles -ci, tout en étant à conduire dans la respect des valeurs et cultures locales, ne doivent pas masquer une complaisance vis-à-vis de régimes autoritaires qui s'appuient sur des services non respectueux des Droits de l'Homme à l'heure où nos partenaires s'activent pour nouer des relations avec les mouvements politiques, sociaux, intellectuels au sein des sociétés civiles. Sans verser dans la promotion de la démocratie qui irrite plus qu'elle n'encourage, la France se doit d'exprimer son attachement aux Droits de l'Homme et aux libertés qui sont pour elle des valeurs universelles et, par conséquent, indépendantes des contingences locales.
Se pose, par ailleurs, le problème des contacts à établir avec les mouvements islamistes. Ceux -ci constituent des acteurs majeurs dans la vie politique et sociale, jouissant souvent d'une influence forte au sein des populations par l'efficacité des services qu'ils mettent à leur disposition et capables, à l'occasion d'élections libres dont nous encourageons, bien entendu, le principe, d'accéder au pouvoir. Ceci étant, certains ne sont pas reconnus, ni admis par les pouvoirs en place ou se disqualifient à nos yeux par leur recours à des méthodes terroristes et par leur rejet violent de ce à quoi nous nous identifions.
Un dialogue n'en est pas moins nécessaire avec tous les autres qui sont une réalité d'autant que l'expérience ( décolonisation, OLP ) nous a appris la relativité de nos ostracismes. L'approche ne peut relever, en tout état de cause, que du cas par cas prenant en compte la représentativité du mouvement, son discours et, plus particulièrement, sa position vis-à-vis de la violence, sa relation avec le pouvoir ( légalité ou non ). Il devrait être acquis que, dès lors qu'un mouvement islamiste est légal et intégré dans le processus politique, comme on en vérifie de nombreux exemples dans le monde arabe, le dialogue devient possible. Reste à en déterminer les modalités.
Le dialogue doit donc être modulé avec pragmatisme, c'est-à-dire en fonction du mouvement concerné, une grande variété de formules s'offrant autour des suivantes :
L'important doit être une disposition au dialogue pour autant que l'interlocuteur respecte, lui aussi, ce que nous sommes.
Depuis les accords d'Oslo, la voie tracée pour le règlement du conflit israélo-palestinien résidait dans un consensus international de soutien à l'édification des institutions d'une entité palestinienne.
La France y trouvait confortablement sa place et sa politique s'inscrivait dans une politique plus largement européenne ; elle avait en outre la particularité d'un soutien politique au président palestinien Yasser Arafat jusqu'à sa mort en novembre 2004 Les tentatives pour isoler et discréditer le chef de l'Autorité palestinienne au cours des 18 mois qui ont précédé sa mort n'étaient pas suivies en France ; mais ce soutien apparaissait comme de plus en plus personnel et ne s'accompagnait pas d'une vision d'ensemble. La France a été découragée par les dysfonctionnements des institutions de l'Autorité, la corruption qui y régnait et les divisions entre le Fatah et le Hamas. Elle n'a pas su développer, par ailleurs, des relations soutenues avec les acteurs de la société civile, principalement à cause de la faiblesse des mécanismes de diplomatie parallèle que d'autres pays comme la Suède, la Norvège ou même la Grande-Bretagne maîtrisent mieux.
Cette absence de réflexion stratégique sur une position proprement française ou sur une action visant à influencer l'Europe pour en définir une ont eu pour conséquence que la France n'a pas été en mesure de formuler des vues claires sur les deux développements majeurs des trois dernières années : la politique unilatéraliste préconisée par le gouvernement de Sharon et, deux ans plus tard, la victoire du Hamas aux élections législatives palestiniennes de janvier 2006
Devant la première, elle s'est laissé entraîner vers une vision selon laquelle l'unilatéralisme pouvait constituer une approche alternative à la négociation. De même a -t-elle été prise au dépourvu par l'élection du Hamas et a fait le choix de se ranger sur une position européenne qui s'est vite avérée intenable. La politique française a été en somme largement réactive. La diplomatie n'a pas fait usage de la panoplie de moyens disponibles.
Le soutien humanitaire, aussi généreux soit -il, ne se substitue ni à l'aide aux institutions désormais gelée, ni à des prises de position politiques. Dans la mesure où l'Europe est devenue le premier bailleur de fonds de l'Autorité palestinienne et un partenaire indispensable pour la réalisation de tout progrès sur la voie d'un règlement, les États-Unis ne peuvent plus ignorer une position européenne spécifique qui ne soit pas calquée sur la leur. Les États-Unis ont été inactifs dans la recherche d'un règlement même si, tout récemment, ils s'efforcent de reprendre l'initiative. La faiblesse actuelle des institutions politiques de l'Europe, mais aussi l'existence du Quartet et le souci de préserver le cadre et le mécanisme diplomatique précieux qu'il représente sont aujourd'hui deux freins à une action plus audacieuse.
Les termes du débat sur le conflit ont été dangereusement brouillés au cours des cinq dernières années. Un premier travail, au niveau du discours, consistant à reformuler les enjeux et l'argumentaire sur la centralité du conflit israélo-palestinien par rapport aux autres dossiers régionaux semble nécessaire outre qu'il aurait une fonction pédagogique utile. Placer l'accent sur l'occupation et la nécessité d'y mettre fin, aurait trois avantages : repositionner le débat autour du problème de la terre et non des identités religieuses pour redonner ainsi force au courant nationaliste que les pragmatiques de la mouvance islamiste sont prêts à suivre ; découpler l'enjeu de la lutte contre l'occupation de celui du droit à l'existence d'Israël en réaffirmant les droits des deux peuples à vivre chacun dans un Etat viable et à l'intérieur de frontières sûres ; désamorcer le débat qui lie l'opposition à la politique israélienne à la question de l'antisémitisme.
Pour ne pas se laisser bloquer par les membres réticents de l'Union, il convient d'utiliser le clavier de la diplomatie française pour tester des idées ou options à l'échelle nationale, puis européaniser celles -ci quand elles s'avèrent réussies ou prometteuses. Elles auront alors de plus grandes chances de vaincre les réticences, d'autant qu'elles peuvent aussi s'appuyer sur des acteurs non européens : Russie, Chine, monde arabe, etc
Dans cette même perspective dynamique, il nous faut aller au-delà d'une simple observation des tentatives régionales de recherche de compromis pour les accompagner. Les Palestiniens en période de crise se tournent naturellement vers le giron arabe. Le plan de paix arabe offre une porte d'entrée au Hamas pour intégrer un processus diplomatique par étapes. Les conditions du Quartet ne seront pas acceptées par un gouvernement d'union nationale palestinien sans une reformulation des ces exigences ou un rééquilibrage dans le sens d'exigences équivalentes à l'égard d'Israël. Leur maintien figé est de nature à perpétuer l'impasse.
La France pourrait, conjointement avec d'autres États européens, prendre l'initiative d'un tel exercice de reformulation, à mi-chemin entre les textes des accords de la Mecque, du plan de paix arabe et du Quartet.
Enfin, l'impasse et la logique de force qui prévalent actuellement ont permis à l'acteur iranien de s'introduire au coeur d'un conflit dans lequel il ne devrait pas avoir de rôle majeur. Le dialogue avec l'Iran est utile sur le Liban en raison du soutien de Téhéran au Hezbollah. En revanche, la question palestinienne ne fait pas partie des intérêts légitimes de l'Iran qui ne devrait pas être considéré comme un interlocuteur incontournable ainsi qu'il l'est pour la question irakienne. Le faire serait renforcer son influence régionale sans profit, selon toute vraisemblance, pour la recherche du règlement.
La situation intérieure libanaise connaît un blocage institutionnel et politique caractérisé par une forte polarisation entre deux blocs, s'appuyant chacun sur des alliés extérieurs.
Depuis septembre 2004, la France a pris la direction d'un mouvement diplomatique qui a conduit à l'adoption par le Conseil de sécurité de la résolution 1559 appelant au retrait des forces syriennes du Liban. Après l'assassinat de l'ancien Premier Ministre Rafic Hariri, elle a pris clairement position pour la coalition des forces politiques du 14 mars, un bloc dont le principal ciment et l'objectif commun étaient de mettre fin à l'influence syrienne au Liban. Au lendemain de la guerre d'Israël contre le Hezbollah à l'été 2006, elle a su mobiliser un large soutien international pour la mise en place d'une FINUL renforcée et pour la reconstruction du pays dévasté lors de la conférence de Paris 3. Ces trois directions, engagées au cours des trois dernières années, méritent un examen critique, au niveau des objectifs d'une part, du cadre dans lequel la France déploie son activité et des partenaires qu'elle choisit d'autre part, pour envisager les options politiques à venir.
La France a joui d'un soutien régional et international très vaste dans sa mobilisation pour le retrait de la Syrie et la création d'une commission d'enquête internationale. La légitimité de son action était et demeure très forte, toutes les parties ( Hezbollah, Iran et Syrie compris ) étant maintenant convaincues que le tribunal est inéluctable. Même si sa mise en place est loin d'être acquise, ses adversaires sont dans l'embarras et espèrent la retarder ainsi que d'en renégocier les modalités. La fermeté affichée par la France a été payante et reste déterminante pour la crédibilité de son engagement en faveur du Liban.
Un deuxième volet qui bénéficie d'une légitimité équivalente a été son action pour protéger la souveraineté et la sécurité du territoire libanais vis-à-vis d'Israël après les attaques dévastatrices de celui -ci ainsi que son engagement pour la reconstruction du Liban. Cette action renforce le premier volet et reflète une forte cohérence de la politique française en faveur d'un Liban protégé des influences de ses deux puissants voisins. Tant par les objectifs poursuivis que par le choix du cadre ( l'ONU ), ces deux premiers volets sont un succès incontestable de la diplomatie française et la placent en situation favorable pour continuer à jouer un rôle influent au Liban.
Le troisième volet, qui concerne l'action sur la scène intérieure, présente un bilan plus mitigé. La France accompagne son activité au niveau international par un soutien au bloc du 14 mars et se trouve étroitement associée à celui -ci. Elle n'a pas de dialogue avec le bloc adverse de l'opposition. Or cette position présente quelques risques : elle rend la politique française tributaire des objectifs des membres de la coalition qui ne sont pas nécessairement tous identiques aux siens ; elle la prive de la marge de manoeuvre nécessaire pour engager un dialogue avec le Hezbollah et les forces qui lui sont alliées ; elle enferme la France dans une position qui lui ôte la possibilité de jouer un rôle de médiation. Les zones grises qui pourraient constituer les termes d'un compromis existent pourtant ; mais la France n'est pas en position de les mettre à profit elle -même pour amener les parties vers ce compromis.
Cette politique de fermeté sur la question du tribunal international et à l'égard de la Syrie a été payante jusqu'ici. Elle reste justifiée tant que l'accord n'est pas conclu sur le tribunal. Mais celui -ci se trouve étroitement lié à la recherche d'une nouvelle formule politique pour un partage du pouvoir entre les différentes forces en présence. On évoque la recherche d'un nouveau Taëf, modèle qui suggère clairement la nécessité de lier le compromis interne à des arrangements régionaux. En l'absence actuelle de dialogue avec la Syrie, des acteurs régionaux plus éloignés, tels l'Arabie Saoudite, l'Iran et l'Egypte devraient constituer des interlocuteurs naturels pour la France sur le dossier libanais.
La fonction de médiation entre les différentes forces libanaises est, en effet, le fait de ces acteurs régionaux qui semblent les plus à même de peser sur les différentes parties alors que la France peut difficilement jouer un rôle de même nature faute de la panoplie de moyens dont ceux -ci disposent ( liens personnels, familiaux, instruments financiers et discrétion liée à la proximité et aux méthodes des régimes non démocratiques ).
Elle a néanmoins la possibilité d'accompagner plus activement ce processus régional. C'est ainsi qu'elle peut notamment :
Engager des contacts avec l'Iran sur le dossier libanais en le dissociant des autres dossiers régionaux. Les hésitations à nouer un dialogue avec celui -ci sur ce dossier méritent d'être réexaminées. Il ne s'agirait pas de le faire en liant les différents dossiers ( programme nucléaire, Irak, Palestine et Liban ) en vue d'un quelconque "marché" mais sur la base d'une évaluation objective de l'importance des enjeux pour Téhéran dans chacun de ces dossiers. S'il est sûr que l'Iran conservera une position radicale sur son programme nucléaire, il existe de bonnes raisons de penser qu'il est disposé à coopérer pour trouver une solution de compromis au Liban, à la différence de la Syrie.
Le soutien de Téhéran au Hezbollah fait certes partie d'une stratégie iranienne d'appui sur la communauté chiite régionale. Mais la guerre de l'été a conduit le mouvement à payer un prix très élevé et à prendre des risques politiques majeurs qui ébranlent son image de force politique nationale oeuvrant pour son intégration dans le jeu politique libanais sur la base d'un nouveau consensus intercommunautaire. L'Iran ne peut instrumentaliser le Hezbollah que dans certaines limites et risque de susciter des divisions au sein du mouvement comme cela a été le cas dans le passé.
La situation est particulièrement préoccupante : l'ampleur du désastre provoqué par l'intervention américaine, au niveau de sa conception comme de sa mise en oeuvre, apparaît lourde de conséquences : éclatement du pays, affrontements intercommunautaires et entre milices rivales, fuites des élites et d'une partie de la population ( notamment des chrétiens ), dislocation des structures de l'Etat et des ses administrations, naufrage économique, création d'un foyer de terrorisme dans le triangle sunnite ... Certes l'objectif affiché des États-Unis est celui de finir le travail, c'est-à-dire de rétablir la paix civile et de restaurer l'économie ; mais aucune lueur n'apparaît à l'horizon qui puisse conduire à en envisager la réalisation. Aussi, leur objectif parait être plutôt, malgré l'envoi de renforts qui ne modifieront pas la situation sur le terrain, de se dégager du guêpier dans lequel ils se trouvent sans que ceci apparaisse comme un échec humiliant. Il n'est pas exclu d'ailleurs, que, soumis à une pression de plus en plus forte, les autorités américaines, qu'il s'agisse de cette administration ou de la suivante, décident de retirer les troupes soudainement, laissant derrière elles une situation incontrôlable et incontrôlée.
Dans un contexte aussi difficile, notre marge d'influence est faible : la violence ne pourra cesser que si une place significative est reconnue et garantie à la minorité sunnite, ce qui n'est pas le cas dans l'actuelle Constitution. La cessation de la violence passe par une réconciliation nationale que nous ne pouvons qu'encourager mais sur laquelle nous sommes sans moyens d'influence. Nous devons cependant préserver l'avenir en maintenant des contacts avec toutes les forces politiques irakiennes et en proposant de développer une coopération en vue de restaurer l'Etat, par exemple par la formation en France de cadres civils et militaires. Nous devons également réaffirmer, notamment auprès des Kurdes, notre engagement en faveur de l'unité de l'Irak.
Notre action peut être facilitée par un dialogue actif avec les États voisins dont aucun, y compris l'Iran, n'a intérêt au démantèlement de l'Irak. La récente réunion de ces États voisins à laquelle s'est joint le P5 doit être la première étape vers la conférence internationale au niveau ministériel qui devrait se réunir prochainement à Charm El Cheikh et devrait bien marquer la volonté des États de la région et des membres permanents du Conseil de Sécurité de restaurer l'Irak dans son intégrité. Cette conférence devrait établir un plan de retrait programmé des troupes étrangères, de désarmement des milices, de restauration des services publics et de retour des réfugiés. La préparation de cette conférence passe, en particulier, par un dialogue avec la Syrie et l'Iran dont l'attitude ambiguë ne peut que contribuer à la persistance des violences actuelles.
Notre position doit prendre en considération la pérennité du régime islamique : malgré ses échecs économique et politique et ses tensions internes, on ne voit pas comment le régime des ayatollahs pourrait s'écrouler dans un avenir prévisible. Elle doit également tenir compte du fait que, plus par un effet d'aubaine que par une volonté expansionniste, l'Iran est devenu un acteur incontournable au moyen orient : les États-Unis, en débarrassant l'Iran des ses deux principaux ennemis, les Talibans et Saddam Hussein, et Israël, en déclenchant imprudemment une guerre contre le Hezbollah, ont renforcé sa capacité d'influence et de nuisance. Aussi notre politique doit -elle se garder de s'associer à toute tentative de "regime change" et doit - elle considérer que l'Iran est une puissance régionale avec laquelle il faut compter et dialoguer. Elle doit également tenir compte du fait que, du côté américain, une intervention militaire est une option qui est non seulement "sur la table", mais aussi sérieusement envisagée. Il serait difficile au Président Bush qui, à maintes reprises a dénoncé le caractère inacceptable des ambitions nucléaires de l'Iran de se déjuger et de ne rien faire, d'autant plus qu'il est soumis à la pression d'Israël qui qualifie la menace iranienne d'existentielle. Une telle intervention, hasardeuse sur le plan technique, ne pourrait avoir que des effets désastreux au moyen orient comme dans l'ensemble du monde musulman.
Dans ce contexte, notre politique devrait être d'établir des relations plus fortes avec les interlocuteurs les plus ouverts du côté iranien, notamment les éléments réformistes ou pragmatiques, comme Rafsandjani, Larijani ou Velayati et, d'une façon plus générale, la société civile ouverte, active et souvent contestatrice. Notre objectif doit rester celui de dissuader l'Iran de se doter d'une capacité nucléaire utilisable à des fins militaires. Dans cette perspective, les sanctions, qu'elles soient décidées par l'ONU ou qu'elles soient informelles, ont montré une réelle efficacité. Le renforcement progressif de sanctions "intelligentes" visant à dissocier la population du régime doit être poursuivi. A cette fin, la concertation avec la Russie et la Chine doit être plus étroite.
Cependant cette négociation nucléaire doit s'inscrire dans une politique d'intégration de l'Iran dans la communauté internationale et être guidée par un objectif plus large, celui de mettre en place un système de sécurité collective faisant du Golfe une zone dépourvue d'armes de destruction massive où seraient garanties la sécurité des États et l'intangibilité des frontières. Un tel objectif passe par un dialogue avec l'Iran et la réunion d'une conférence internationale regroupant tous les pays riverains auxquels se joindraient les membres permanents du Conseil de sécurité.
Alors qu'il s'agit de la partie du monde arabe et du bassin méditerranéen qui nous est la plus proche et avec laquelle nous avons développé les relations les plus intenses et familières, elle est aussi une des plus absentes dans nos réflexions sur cette région. Nous gérons tant bien que mal un acquis sans vision d'ensemble, ni perspective. En effet, notre approche est fractionnée au profit de relations bilatérales marquées d'une forte subjectivité, influencée elle même par des préjugés durables : à cette aune, l'Algérie est difficile, crispée sur ses complexes et ses ressentiments et on n'en fera jamais assez pour se faire pardonner ; la Tunisie, à la fois molle et policière, est d'une fréquentation douteuse ; le Maroc, sorte de fils préféré, est noble, attirant et fragile.
Cette approche s'assortit d'une gestion sans doute généreuse au regard de nos moyens mais au jour le jour, constamment renégociée pour tenter de perpétuer une supposée rente de situation et veiller à ce que nos positions ne soient pas grignotées par d'autres. Bref, une certaine facilité nous conduit à entretenir l'idée que le Maghreb constitue un cas à part, ce qui est conforme à une réalité historique nous créant des devoirs, mais échappant aux priorités qui guident ailleurs notre politique extérieure. C'est aussi qu'il n'appartient pas à ce seul champ car il se vit également et parfois intensément sur le plan de notre politique intérieure où il intervient dans d'autres débats. Mais, à l'ère de la mondialisation, cette caractéristique importante est de moins en moins une spécificité. L'approche apparaît donc à la fois archaîque et figée.
Aussi convient il de procéder sans délai à une réévaluation de notre politique maghrébine pour la situer dans une perspective d'ensemble qui s'inscrive elle même dans l'action globale que nous entendons mener au niveau méditerranéen et ailleurs dans le monde en fonction des défis que nous y rencontrons et des priorités que nous devons nous fixer.
Appeler à un aggiornamento n'est pas remettre en cause les liens si spécifiques qui nous unissent à cette région ou appeler à leur banalisation mais s'appuyer sur eux pour développer une relation plus conforme à nos intérêts présents de puissance moyenne visant à trouver dans la construction européenne ce qui lui est nécessaire pour peser dans les affaires du monde. Les instruments existent ; ils doivent être réorientés ou dynamisés.
Il s'agit, sur le plan bilatéral France / Maghreb, d'affecter une partie des crédits accordés jusqu'ici à chacun de nos trois partenaires à une enveloppe régionale finançant des projets nécessaires d'intégration que leurs divisions actuelles leur interdisent de promouvoir eux mêmes. Ils en reconnaîtront l'opportunité et y trouveront une stimulation pour un travail en commun sur le plan du développement. L'U .M .A ., paralysée sans avoir jamais pris son essor, y trouverait une impulsion dans sa mission plus générale d'intégration d'un Maghreb réconcilié.
Pour renforcer cette approche et dans une perspective de fécondation réciproque, un nouvel élan serait donné à la concertation dite 5 + 5 et, au delà, à EuroMed. En élargissant, de part et d'autre de la Méditerranée Occidentale, le champ d'un dialogue trop exclusivement bilatéral nous n'affecterons pas celui ci si nous y veillons mais lui donnerons une dimension supplémentaire échappant aux pesanteurs historiques qui le polluent et l'entravent. Il nous appartiendra d'assurer que nos intérêts n'en soient pas lésés ; mais, dans une dynamique de développement, il y aura place pour une diversification des partenaires. L'important sera de nous dégager des pressions liées à un échange exclusivement bilatéral pour nous permettre de replacer le Maghreb dans le contexte combien plus général de notre action extérieure.
Cet élargissement devra également porter sur l'éventail de nos interlocuteurs maghrébins. A côté de ceux que leurs fonctions désignent il convient de prendre en compte les sociétés dans leur diversité en facilitant, sans a priori autre que lié à des exigences raisonnables de sécurité, la circulation entre les deux rives de la Méditerranée au profit de tous ceux ( hommes d'affaires, étudiants, chercheurs ... ) qui peuvent nourrir la relation et en maintenant sur place un dialogue avec des interlocuteurs non gouvernementaux. A cet égard, la coopération décentralisée déjà entretenue par nos collectivités locales doit être encouragée en raison de sa souplesse et de sa capacité à établir des liens là où l'action étatique se trouve plus embarrassée par le souci de ne pas heurter les autorités du pays auquel elle s'applique.
En visant la société civile avec laquelle nous développerions toutes sortes de dialogues il ne s'agit pas seulement de favoriser le maintien de notre présence et de nos liens en prenant en compte les forces vives et les réalités présentes des pays du Maghreb ; il s'agit aussi d'encourager leur évolution démocratique par une sorte d'osmose intervenant à tous les niveaux, les pressions en ce sens exercées exclusivement à celui des responsables supérieurs de l'Etat étant facilement interprétées, et donc dénoncées et rejetées, comme autant d'ingérences ou manifestations d'incompréhension des cultures politiques locales.
Le bilan au bout de dix ans de mise en oeuvre du processus de Barcelone est décevant, même si certaines critiques apparaissent injustes. Malgré l'ampleur des sommes engagées sur la période 20 milliards d'euros au total, le Sud de la Méditerranée demeure une zone où les réformes politiques et économiques restent à faire et où le développement économique et social est insuffisant. La responsabilité de cette situation est largement partagée entre le Nord et le Sud. En outre le processus de Barcelone qui devait accompagner le processus de paix entre les pays arabes et Israël a pâti de l'échec présent de ce dernier.
Cependant des améliorations peuvent être apportées tant dans la mécanique institutionnelle que dans les actions à entreprendre de façon à ce que le partenariat envisagé devienne une réalité. Les réunions devraient être véritablement co- présidées par le Nord et le Sud ; un léger secrétariat permanent, mixte dans sa composition, pourrait être institué : il préparerait les réunions régulières au niveau ministériel ou des experts. Ces rencontres qui concernent essentiellement les ministres des Affaires étrangères devraient être étendues à d'autres ministres : économie, intérieur, justice, commerce extérieur. La création dans la mouvance de la BEI d'une Banque euro - méditerranéenne devrait être décidée.
S'agissant des méthodes d'intervention, le processus de Barcelone devrait être plus sélectif : les efforts devraient être concentrés sur un nombre limité de projets structurants et contribuer à la promotion des intégrations sous- régionales, tant au Maghreb qu'au Machrek. L'articulation de Barcelone avec la "politique de voisinage" devrait être clarifiée. Enfin le volet culturel devrait être développé et la fondation Anna Lindh pour le dialogue entre les cultures revitalisée de façon à ce que l'Europe et les pays du Sud de la Méditerranée constituent un exemple réussi d'"Alliance de civilisations" telle que l'a proposé le panel de Haut niveau mis en place par le Secrétaire général des Nations unies.
Des idées comparables ont été proposées du côté français à nos partenaires début 2006, il convient d'en assurer le suivi. Dans cet exercice en cours de rénovation du processus de Barcelone, nous devrions organiser une concertation plus étroite avec nos partenaires européens de la bordure méditerranéenne, notamment l'Espagne et l'Italie.
Les turbulences qui affectent le moyen orient ont atteint un niveau de haute intensité qui représente pour les pays occidentaux, et plus spécialement pour l'Europe, de grands risques, notamment dans le domaine de la sécurité au sens large du terme : accroissement du terrorisme, perturbations dans notre approvisionnement en hydrocarbures, attaques contre nos forces au Liban, dislocation des États. En Afrique du Nord, où la situation paraissait plus contrôlée, les menaces tendent également à se renforcer.
Traditionnellement très présente dans cette région qui lui est si proche, la France, face à une évolution si préoccupante, se doit d'être active, c'est-à-dire pas seulement réactive comme elle a tendu à l'être au cours de la période récente. Pour être une année à risques, 2007 peut également constituer une année d'opportunités qu'il nous appartient de saisir en nous exprimant sans inhibition sur ce que nous pensons être juste ou raisonnable dans les différentes situation de crises ou de conflits et en usant pleinement du clavier des moyens dont nous disposons. En reprenant ainsi l'initiative, nous aurions avantage à agir en partenariat avec ceux qui, en Europe, partagent nos préoccupations dans une démarche prenant, bien entendu, en compte le fait que les États Unis demeurent pour la région un acteur incontournable.
Notes de fin 1 Abu Ali Husayn Ibn Sine, connu sous le nom d'Avicenne. Médecin, philosophe et mystique arabo islamique d'origine iranienne ( 980 1037 ) son Canon de la médecine fut longtemps la base des études médicales tant en Orient qu'en Occident.