Noam Chomsky

Résumé

Noam Chomsky, né Avram Noam Chomsky1 le 7 décembre 1928 à Philadelphie en Pennsylvanie, est un linguiste et philosophe américain. Professeur émérite de linguistique au Massachusetts Institute of Technology où il a enseigné toute sa carrière2, il est connu dans le domaine scientifique comme le fondateur de la linguistique générative. Il est également devenu mondialement célèbre pour son engagement et ses écrits politiques dissidents ainsi que pour ses convictions anarchistes3.

Chomsky a commencé à développer sa théorie de la grammaire générative et transformationnelle dans les années 1950 en cherchant à dépasser aussi bien l'approche structuraliste, distributionnaliste que béhavioriste dans l'étude du langage naturel. Visant à rendre compte des structures innées de la « faculté de langage », cette théorie est souvent décrite comme la contribution la plus importante dans le domaine de la linguistique théorique du xxe siècle et on a parfois parlé de « révolution chomskienne »4. Pour répondre aux critiques développées dans les années 1970 envers son premier modèle, Chomsky a proposé au début des années 1980 une nouvelle version de sa théorie basée sur une approche modulaire. Il a ensuite jeté les bases, au cours des années 1990, de ce qu'il a appelé le « programme minimaliste ».

Les recherches de Chomsky ont joué un rôle crucial dans ce que l'on appelle la « révolution cognitive ». Sa critique du Verbal Behavior (« Comportement verbal ») de Skinner en 1959, a remis en question l'approche comportementale de l'étude de l'esprit et du langage, qui dominait dans les années 1950. Son approche naturaliste de l'étude du langage a également eu un grand impact en philosophie du langage et de l'esprit5. Il a également établi la hiérarchie de Chomsky, moyen de classification des langages formels en fonction de leur pouvoir de génération.

En parallèle de sa carrière de scientifique, Noam Chomsky mène une intense activité politique et militante depuis le milieu des années 1960 et sa prise de position publique contre la Guerre du Viêt Nam. Sympathisant de la mouvance anarcho-syndicaliste et membre du syndicat IWW, il a donné une multitude de conférences un peu partout dans le monde et a publié de nombreux livres et articles dans lesquels il fait part de ses analyses historiques, sociales et politiques. Ses critiques portent tout particulièrement sur la politique étrangère des États-Unis d'Amérique et le fonctionnement des mass médias.

En 1992, d'après le Arts and Humanities Citation Index, Chomsky a été plus souvent cité qu'aucun autre universitaire vivant pendant la période 1980-92, et occupe la huitième position dans la liste des auteurs cités6,7,8,9. Il est considéré comme une figure intellectuelle majeure du monde contemporain, à la fois controversée et admirée10. Plusieurs livres et documentaires lui ont été consacrés.

Sommaire

Contents

1. Biographie

Chomsky est né à Philadelphie en Pennsylvanie. Son père, William Chomsky, était un spécialiste de l'hébreu originaire d'une ville d'Ukraine plus tard détruite par les nazis. Sa mère, Elsie Chomsky (née Simonofsky) venait de la future Biélorussie mais, contrairement à son mari, elle grandit aux États-Unis et parlait « l'anglais de New York ». Leur première langue était le yiddish, mais selon Chomsky, dans sa famille, la parler était proscrit : celle-ci vivait en effet dans une sorte de « ghetto juif », partagé entre une communauté « yiddish » et une « hébreu ». C'est dans cette dernière que sa famille l'a élevé, « immergé dans la culture et la littérature hébraïques ».

Vers l'âge de huit ou neuf ans, Chomsky passait chaque vendredi soir à lire de la littérature hébraïque11. Plus tard, il enseigna l'hébreu. En dépit de cela, et de tout le travail linguistique effectué durant sa carrière, il a confié : « la seule langue que je parle et écris correctement est l'anglais ».

Selon ses souvenirs, Chomsky écrivit son premier article pour le journal de son lycée en 1940 à propos de la menace de l'expansion du fascisme après la chute de Barcelone. C'est à cet âge qu'il se rapprocha des idées anarchistes12.

À partir de 1945, il étudie la philosophie et la linguistique à l'Université de Pennsylvanie, auprès des philosophes C. West Churchman et Nelson Goodman et du linguiste Zellig Harris. L'enseignement d'Harris comprenait sa découverte des transformations en tant qu'analyse mathématique de la structure du langage (fonctions mathématiques d'un sous-ensemble à un autre dans l'ensemble des phrases). Par la suite, Chomsky explique qu'elles sont des opérations de la production d'une grammaire hors-contexte. Les idées politiques de Harris furent également déterminantes quant à l'orientation future de Chomsky.

En 1949, Chomsky se marie avec la linguiste Carol Schatz (1930-200813). Ils ont deux filles, Aviva (née en 1957) et Diane (1960), ainsi qu'un fils, Harry (1967).

Chomsky soutient sa thèse de linguistique à l'université de Pennsylvanie en 195514, après avoir poursuivi ses recherches de 1951 à 1955 à Harvard en tant que Harvard Junior Fellow. Dans son mémoire, il commence à développer certaines des idées qu'il approfondit dans son livre de 1957, Structures syntaxiques'.

Chomsky rejoint ensuite le Massachusetts Institute of Technology (MIT) en 1955 grâce à l'appui de Roman Jacobson, comme professeur associé au sein du laboratoire de recherche en électronique de l'institut qui travaille sur un projet de machine à traduire15. En 1961, il est nommé professeur dans le « Département de langues modernes et de linguistique », créé pour accueillir le troisième cycle en linguistique mis sur pied par Morris Halle et lui-même16.

C'est vers 1965 que Chomsky prend la décision de s'engager dans le débat public et politique. C'est comme intellectuel qu'il devient l'un des principaux opposants à la guerre du Viêt Nam avec la publication en février 1967 de son essai « Responsabilités des Intellectuels » dans la New York Review of Books17. Dans cet essai, il insiste sur l'idée que dans la mesure où les intellectuels ont, comparé au reste de la population, plus facilement accès à la vérité, ils ont d'autant plus de responsabilité face à elle18. Depuis lors, Chomsky n'a pas cessé de publier ses analyses politiques et de donner de nombreuses conférences dans le monde entier. Ses critiques de la politique étrangère américaine, souvent reprises en dehors des États-Unis, l'ont exposé aux critiques nourries de la part des libéraux américains (mouvance équivalente des gauches sociales-démocrates en Europe) et de la droite américaine.

Entre 1966 et 1976, il est titulaire de la chaire « Ferrari P. Ward de langues modernes et linguistique ». En 1976, il accède au titre rare d'Institute Professor. Chomsky a enseigné sans interruption au MIT durant ces cinquante dernières années.

Profondément rationaliste, Chomsky rejette formellement le post-structuralisme et les critiques postmodernes de la science19.

L'adjectif éponyme « chomskyen » a été créé pour désigner ses travaux et ses idées, mais ce terme est peu apprécié par Chomsky lui-même qui considère la « personnalisation » comme indue dans le domaine de la science20.

2. Activité scientifique

2.1. Linguistique

« Depuis la publication en 1957 de Structures syntaxiques, [Chomsky] exerce sur la linguistique une influence considérable21. » Structures syntaxiques introduisait la grammaire générative. Cette théorie considère que les expressions (séquences de mots) ont une syntaxe qui peut être caractérisée (globalement) par une grammaire formelle ; en particulier, une grammaire hors-contexte étendue par des règles de transformation. Les enfants sont supposés avoir une connaissance innée de la grammaire élémentaire commune à tous les langages humains (i.e. ce qui présume que tout langage existant en est une sorte de restriction). Cette connaissance innée est appelée « grammaire universelle ». Il est soutenu que la modélisation de la connaissance de la langue par une grammaire formelle explique la « productivité » de la langue : avec un jeu réduit de règles de grammaire et un ensemble fini de termes, les humains peuvent produire un nombre infini de phrases. Il existe et il existera donc toujours des phrases qui n'ont jamais été dites.

The Principles and Parameters approach (P&P) (L'Approche des principes et des paramètres), développée dans les Conférences (Pise, 1979), publiées plus tard sous le titre Lectures on Government and Binding (LGB) s'inscrivent dans le prolongement du concept de grammaire universelle : les principes grammaticaux sous-tendant les langages sont innés et fixés, les différences entre les divers langages dans le monde peuvent être caractérisées en termes de paramètres programmés dans le cerveau (tel le paramètre d'élision, pro-drop parameter, qui indique quand un sujet explicite est toujours requis, comme en anglais, ou s'il peut être élidé, comme en espagnol) souvent comparés à des commutateurs (d'où le terme de principes et paramètres utilisé pour qualifier cette approche). De ce point de vue, un enfant qui apprend une langue a seulement besoin d'acquérir les items lexicaux nécessaires (mots, morphèmes grammaticaux et les tournures idiomatiques) et fixer les valeurs appropriées des paramètres, ce qui peut être fait sur quelques exemples clés.

Les partisans de cette conception arguent du fait que la vitesse avec laquelle les enfants apprennent des langues est inexplicablement rapide, à moins que les enfants n'aient une capacité innée pour apprendre des langues. Les étapes semblables que suivent tous les enfants à travers le monde quand ils apprennent des langues, et le fait que les enfants commettent des erreurs caractéristiques quand ils apprennent leur première langue, tandis que d'autres types d'erreur apparemment logiques ne se produisent jamais (et, selon Chomsky, elles devraient être attestées si le mécanisme d'apprentissage utilisé était général plutôt que spécifique à une langue) est également perçu comme une raison de l'innéïté. Outre ces considérations générales, les arguments les plus convainquants en faveur de l'innéité d'un certain nombre d'aspects des systèmes linguistiques dérivent de l'analyse minutieuse de nombreuses propriétés linguistiques des langues les plus diverses qui suggèrent très fortement que ces propriétés, qui apparaissent de façon systématique chez les jeunes enfants, ne semblent pas découler de façon plausible des données linguistiques auxquelles ils ont été soumis au cours de leur phase d'acquisition du langage. Ce dernier type d'argument est connu sous le nom d'argument « de la pauvreté du stimulus ». Comme le résument Michael Siegal, Olivier Pascalis et Stephen C. Want du département de psychologie de l'Université de Sheffield : « Une expérience limitée avec le langage est suffisante pour permettre le développement d'un langage structuré chez l'enfant. Selon le principe de la "pauvreté du stimulus" proposé par Chomsky, il existe de nombreuses preuves que l'acquisition de la grammaire se fait indépendamment de l'intelligence non verbale. Malgré de grandes variations dans l'environnement langagier, l'apprentissage de la grammaire se fait dans un ordre fixe22. »

Plus récemment, dans son Minimalist Program (1995) (Programme minimaliste), tout en conservant le concept central des « principes et des paramètres », Chomsky tente une révision importante des machines linguistiques impliquées dans le modèle de LGB, les dépouillant de tout sauf des stricts éléments nécessaires, tout en préconisant une approche générale de l'architecture de la faculté du langage humain qui souligne les principes de l'économie et de la conception optimale, revenant à l'approche dérivationelle de la génération, en opposition avec la majeure partie de l'approche représentative du classique P&P .

Les travaux de Chomsky ont exercé une forte influence sur l'étude de l'acquisition du langage, bien qu'une partie des chercheurs qui travaillent dans ce domaine aujourd'hui ne soutiennent pas ses théories et s'appuient davantage sur les processus d'émergence ou les théories connexionnistes, ramenant la langue à un cas particulier des processus généraux du cerveau.

2.1.1. Grammaire générative et études empiriques

L'approche chomskyenne de la syntaxe, souvent qualifiée de grammaire générative, est contestée, surtout en dehors des États-Unis, mais bénéficie d'une certaine popularité. L'analyse de Chomsky, largement abstraite, repose en grande partie sur l'examen minutieux de l'interface entre constructions et ruptures grammaticales dans le langage (à rapprocher des cas pathologiques, qui jouent un rôle similaire en mathématiques). De telles analyses grammaticales ne peuvent être réalisées finement que dans une langue maîtrisée au mieux et les linguistes qui s'y intéressent se consacrent donc souvent à leur langue maternelle pour des raisons pratiques. Il s'agit généralement de l'anglais, du français, de l'allemand, du néerlandais, de l'italien, du japonais ou du mandarin. Cependant, comme le fait remarquer Chomsky : « La première application de cette approche a porté sur l'hébreu moderne, étudié de manière relativement précise vers 1949-50. La seconde, au milieu des années 1950, concernait un idiome américain indigène, le Hidatsa : elle fut la première grammaire générative exhaustive. Le turc fit l'objet de la première thèse de doctorat, au début des années 1960. Ces travaux furent ensuite adaptés à un large panel de langues. Le MIT devint de fait le centre international d'étude des langues aborigènes australiennes par l'approche générative [...] grâce aux travaux de Ken Hale, qui est également à l'origine de l'un des plus ambitieux programmes de recherche sur les langues indigènes américaines ; en fait, le premier programme faisant intervenir des indigènes, amenés à l'université pour se former à la linguistique afin qu'ils puissent travailler sur leurs propres langues, de manière bien plus profonde que tout ce qui avait jamais pu être réalisé auparavant. Cela s'est poursuivi par la suite et est devenu un travail de référence sur la collection de langues la plus variée du point de vue typologique. »

La théorie de la grammaire générative se révèle parfois peu pertinente pour analyser des langues jamais étudiées auparavant. Cette approche a connu de nombreuses évolutions au fur et à mesure que le nombre de langues étudiées augmentait. La thèse des invariants (ou universaux) linguistiques connaît pourtant un soutien de plus en plus important ; dans les années 1990, Richard Kayne a par exemple suggéré que toutes les langues sous-tendent une structure Sujet-Verbe-Objet, ce qui aurait paru peu plausible dans les années 1960. L'une des principales motivations d'une approche alternative comme l'approche typologico-fonctionnelle (souvent associée à Joseph Greenberg) est de confronter les hypothèses d'invariances linguistiques à l'étude du plus grand nombre possible de langues, de classer les écarts constatés et d'en induire des lois théoriques. Bien qu'elle ait déjà été appliquée à un grand nombre de langues, l'approche de Chomsky est trop méticuleuse et nécessite une connaissance trop pointue des langues étudiées pour répondre à une telle méthodologie.

Le modèle proposé dans Principes de phonologie générative (The Sound Pattern of English, 1968), écrit en collaboration avec Morris Halle, est aujourd'hui considéré comme dépassé, y compris par Chomsky lui-même23.

2.1.2. Langages formels : la hiérarchie de Chomsky

Chomsky s'est rendu célèbre en étudiant différentes sortes de langages formels et leur capacités respectives à intégrer des caractéristiques intrinsèques du langage humain24. Ses travaux fondateurs sont à l'origine des « progrès de la linguistique moderne »25. La hiérarchie de Chomsky décompose les grammaires formelles en catégories de pouvoir d'expression croissant, c'est-à-dire en groupes successifs pouvant chacun générer une variété de langages plus large que le groupe précédent. Il démontra formellement que certains aspects du langage humain nécessitent de recourir à une grammaire formelle plus complexe (en termes de hiérarchie chomskyenne) que pour d'autres. Par exemple, alors que le groupe des langages réguliers est suffisamment puissant pour modéliser la morphologie de la langue anglaise, il ne l'est pas assez pour en modéliser la syntaxe.

La hiérarchie de Chomsky constitue le résultat le plus important de la branche primordiale de l'informatique théorique qu'est la théorie des automates. Chaque niveau de grammaire est strictement isomorphe à un type particulier d'automate, le niveau zéro correspondant aux machines de Turing, c'est-à-dire, à la puissance de calcul des ordinateurs.

2.2. Psychologie

Les travaux linguistiques de Chomsky ont eu une influence majeure sur la psychologie et son orientation fondamentale dans la deuxième moitié du xxe siècle. Pour Chomsky, la linguistique est une branche de la psychologie cognitive, de véritables compétences en linguistique impliquent une compréhension concomitante des aspects du processus mental et de la nature humaine. Sa théorie de la grammaire universelle est vue par beaucoup comme un défi direct aux théories comportementalistes établies et a eu des conséquences majeures dans la compréhension de l'apprentissage du langage par les enfants et sur ce qu'est exactement la capacité d'interpréter le langage.

Beaucoup des principes les plus fondamentaux de cette théorie ne sont pas acceptés par certains cercles de pensée (même si ce n'est pas le cas des théories les plus importantes basées sur les principes et paramètres décrits ci-dessus).

En 1959, Chomsky publie un compte-rendu resté célèbre26 du livre de B. F. Skinner Verbal Behavior27 dans lequel Skinner donne une explication spéculative et comportementaliste du langage. Le comportement linguistique y est défini comme un comportement appris, avec pour conséquence caractéristique d'être transmis par le comportement déjà appris par d'autres individus ; cette théorie apporte une vision globale du comportement communicatif, bien plus large que celle généralement admise par les linguistes. L'approche de Skinner diffère considérablement de la plupart des théories linguistiques traditionnelles sur la mise en valeur des circonstances dans lesquelles le langage est utilisé ; par exemple, demander de l'eau a pour lui une utilisation fonctionnellement différente que d'associer l'eau au mot eau, ou encore que d'avoir à répondre à quelqu'un qui demande de l'eau... Ces utilisations fonctionnellement différentes demandant chacune une explication différente, l'approche contraste fortement avec les notions traditionnelles du langage et l'approche psycholinguistique de Chomsky qui se concentre sur les représentations mentales des mots et les mots acquis qui, une fois appris, peuvent apparaître dans toutes les fonctions.

La critique de Chomsky dans son article de 1959, bien que touchant aux différentes fonctions verbales, se résume plus largement à une attaque de la base même de l'approche de Skinner, à savoir la psychologie comportementale qu'en 1969 Chomsky, au détour d'un de ses premiers écrits politiques, qualifie de « nouvelle idéologie coercitive, vaguement teintée de science »28. L'essence des arguments de Chomsky est que l'application des principes comportementalistes, issus de la recherche animale, n'a aucun sens lorsqu'il s'agit de l'appliquer à des humains hors d'un laboratoire, et que pour comprendre un comportement complexe il faut avant tout reconnaître qu'il y a dans le cerveau des entités inobservables qui en sont fondamentalement responsables.

Cet article de Chomsky de 1959, qui remet en cause le comportementalisme radical de Skinner, a lui-même été critiqué entre autres dans un article intitulé On Chomsky's Review of Skinner's Verbal Behavior de Kenneth MacCorquodale en 197029. Ces différentes critiques notent des faits importants généralement non reconnus hors de la psychologie comportementale et estiment que Chomsky ne comprend ni la psychologie comportementale dans son ensemble ni comment le radicalisme comportementaliste de Skinner diffère des autres variantes comportementalistes et qu'il fait des erreurs embarrassantes. Ils indiquent aussi que les personnes les plus influencées par cet article de Chomsky étaient déjà substantiellement d'accord avec lui et ne l'ont peut-être même pas lu.

La critique de Chomsky envers la méthodologie de Skinner a posé les jalons de la révolution cognitive. Dans son livre de 1966 Cartesian Linguistics et dans d'autres travaux, Chomsky explique que l'étude des facultés du langage humain est devenue un modèle pour les études dans d'autres domaines de la psychologie. La majorité des nouvelles conceptions émises sur le fonctionnement de l'esprit sont issues d'idées formulées par Chomsky.

Parmi celles-ci, trois idées clés :

2.3. Neurologie et biologie

Chomsky a postulé l'existence d'une « grammaire universelle » inscrite dans les tissus cérébraux. En 2003, des chercheurs italiens et allemands font état, dans Nature Neuroscience, de leur identification d'une subdivision de l'aire de Broca spécialisée dans le traitement de la grammaire30.

Niels Kaj Jerne, lauréat du prix Nobel de médecine en 1984, a utilisé le modèle génératif de Chomsky pour expliquer le système immunitaire humain, faisant le lien entre structures grammaticales et protéiques. Le discours de Jerne à la remise du Nobel s'est intitulé « la grammaire générative du système immunitaire ».

3. Activité politique

Dans ses ouvrages Illusions nécessaires et La Fabrication du consentement, Chomsky s'attache à mettre en évidence les processus par lesquels les médias tendent à maintenir les sociétés démocratiques dans un carcan idéologique. Sa critique porte sur le fonctionnement global de l'institution médiatique dans ses rapports avec les pouvoirs économique et politique. Chomsky montre comment les médias noient la masse électorale sous un flot d'informations beaucoup trop dense pour servir de support de réflexion et qui converge, en définitive, vers des analyses à sens unique, fondées sur des présupposés que l'on évite soigneusement de remettre en question. C'est en particulier à travers l'analyse du traitement médiatique des conflits armés que Chomsky dévoile la dépendance des médias envers les pouvoirs économique et politique. En cherchant à démythifier la prétendue neutralité des médias, Chomsky entend oeuvrer pour l'émancipation et l'autodéfense intellectuelles de la société. Il prétend aussi que dans une société démocratique, la ligne politique n'est jamais énoncée comme telle mais est sous-entendue. Ainsi les « débats » se situent dans le cadre des paramètres implicites consentis et maintiennent dans l'ombre nombre de points de vue contraires31. Avec Edward Herman il a proposé un modèle de propagande basé sur l'analyse du fonctionnement des médias américains.

3.1. Dissidence politique

Noam Chomsky a été engagé politiquement dès sa jeunesse. Mais c'est son opposition à la Guerre du Viêt Nam dans les années 1960 qui l'a fait entrer dans la sphère du débat public. Il a formulé de nombreuses analyses sur la politique et les affaires internationales, notamment dans les nombreux livres qu'il a consacrés à ces questions. Elles ont été largement citées et font l'objet de débats. On peut notamment retenir :

Deux mois après les attentats du 11 septembre, Chomsky publie chez une petite maison d'édition indépendante un petit livre intitulé 9-11. Il y explique notamment, comme le New York Times s'en fait l'écho, que ces attaques sont d'« horribles atrocités » mais que « nous ne pouvons considérer les États-Unis comme des victimes que si nous nous plaçons dans la perspective commode qui consiste à ignorer tout ce que ce pays et ses alliés ont fait »41. Le livre devient un best-seller avec 300 000 exemplaires écoulés en quelques semaines42. Traduit en 23 langues et publié dans 26 pays43, il est devenu « l'une des meilleures ventes d'aucun autre écrivain politique vivant, comptabilisant des millions d'exemplaires vendus aux États-Unis et à l'étranger »44. Son second livre sur le sujet, Power and Terror. Post-9/11 Talks and Interviews, publié en mars 2003 chez le même éditeur, devient lui aussi un best-seller.

En février 2002, Chomsky s'invite au procès de de son éditeur turc Fatih Tas poursuivi pour avoir publié des textes dans lesquels il dénonce ce qu'il qualifie d'opérations terroristes menées contre la minorité kurde par le gouvernement d'Ankara. Réclamant à être lui aussi placé sur le banc des accusés, il obtient l'acquittement de l'éditeur45.

Pour le journaliste Jean-Luc Porquet, qui rappelle que Chomsky « est un des intellectuels critiques les plus lus, écoutés [et] discutés au monde », « [il] ne cesse de passer son pays, et plus largement les démocraties libérales, à la question : s'agit-il d'authentiques démocraties ? »46. Pour l'universitaire Jean Bricmont, qui a co-dirigé un « Cahier de L'Herne » consacré à Chomsky, « dans un monde où des cohortes d'intellectuels disciplinés et de médias asservis servent de prêtrise séculière aux puissants, lire Chomsky représente un acte d'autodéfense. Il peut permettre d'éviter les fausses évidences et les indignations sélectives du discours dominant »47. La Revue internationale et stratégique, dans un compte rendu de son recueil d'articles publié sous le titre De la guerre comme politique étrangère des États-Unis, souligne que « Chomsky permet au lecteur de tenir une réflexion critique sur les discours officiels, de ne pas se soumettre à la pensée dominante »48.

Stanley Cohen, professeur de sociologie à la LSE, explique que Chomsky ne cherche pas à s'adresser aux puissants - « the Kissingers of the world » - qui savent très bien ce qu'il en est, mais aux gens ordinaires qui ont besoin de savoir pour agir, et qu'il considère que « les intellectuels qui gardent le silence à propos de ce qu'ils savent, qui se désintéressent des crimes qui bafouent la morale commune, sont encore plus coupables quand la société dans laquelle ils vivent est libre et ouverte. Ils peuvent parler librement, mais choisissent de ne rien en faire 49. »

4. Critiques et polémiques

4.1. L'« affaire Faurisson »

Une des prises de position les plus controversées de Chomsky concerne l'« affaire Faurisson ». Ancien professeur de littérature à l'université de Lyon, Robert Faurisson fut suspendu de ses fonctions à la fin des années 1970 et poursuivi en justice parce qu'il avait, entre autres, nié l'existence des chambres à gaz pendant la Seconde Guerre mondiale. Une pétition pour défendre sa liberté d'expression fut signée par plus de cinq cents personnes, dont Chomsky. Pour répondre aux réactions que suscita son geste, Chomsky rédigea alors un petit texte dans lequel il expliquait que défendre le droit pour une personne d'exprimer ses opinions ne revenait nullement à les partager. Cette position en matière de liberté d'expression est celle des Lumières et du premier amendement de la Constitution américaine.

Il donna son texte à un ami d'alors, Serge Thion, en lui permettant de l'utiliser à sa guise. Or Thion le fit paraître, comme « avis », au début du mémoire publié pour défendre Faurisson. Chomsky n'a cessé de rappeler qu'il n'avait jamais eu l'intention de voir publié son texte à cet endroit et qu'il chercha, mais trop tard, à l'empêcher47. À ce propos, Chomsky explique : « J'appris plus tard que ma déclaration devait apparaître dans un livre dans lequel Faurisson se défend des charges qui devaient bientôt être retenues contre lui lors d'un procès. Bien que ceci ne fut pas mon intention, ce n'était pas contraire à mes instructions. Je reçus une lettre de Jean-Pierre Faye, un écrivain et militant anti-fasciste bien connu, qui était d'accord avec ma position mais me pressait de retirer ma déclaration car le climat de l'opinion en France était tel que ma défense du droit de Faurisson à exprimer son point de vue serait interprétée comme un soutien pour ce dernier. Je lui écrivis que j'acceptai son jugement, et demandais que ma déclaration n'apparaisse pas, mais il était alors trop tard pour stopper la publication50. » Au sujet de sa demande de non publication de sa déclaration, Chomsky précise que « a posteriori, je pense que probablement je n'aurais pas dû faire cela. J'aurais dû dire "Ok, laissez [le texte] paraître ainsi car il doit paraître". Mais cela mis à part, je considère [ma prise de position] dans cette affaire comme non seulement anodine, mais surtout insignifiante comparée à d'autres positions que j'ai prises sur la liberté d'expression »51.

L'historien français Pierre Vidal-Naquet, spécialiste du négationnisme, considère cependant que la pétition signée par Chomsky allait plus loin que la simple défense de sa liberté d'expression (à laquelle par ailleurs l'historien français souscrit) : la pétition présentait la recherche et les conclusions de Faurisson comme sérieuses et respectables. De plus, Vidal-Naquet reproche à Chomsky d'avoir qualifié Faurisson de « sorte de libéral relativement apolitique » alors que les textes de ce dernier manifesteraient selon lui un antisémitisme patent : « Vous aviez le droit de dire : mon pire ennemi a le droit d'être libre, sous réserve qu'il ne demande pas ma mort ou celle de mes frères. Vous n'avez pas le droit de dire : mon pire ennemi est un camarade, ou un "libéral relativement apolitique". Vous n'avez pas le droit de prendre un faussaire et de le repeindre aux couleurs de la vérité. »52

Pour Chomsky, comme l'analyse Justin Wintle, « la liberté d'expression est plus importante que n'importe quelle version des faits soutenue par l'ordre établi, quel que soit le rapport qu'elle puisse entretenir avec la vérité factuelle »53.

4.2. Face à ses contradicteurs

Aux États-Unis, il faut distinguer deux types qualitativement très différents de critiques : le premier, qui domine largement le second quantitativement, concerne les écrits et prises de position de Chomsky sur les questions de la politique américaine et l'usage de sa puissance militaire54 ; le second concerne ses travaux en lingustique qui, même s'ils sont largement reconnus comme fondamentaux, ont fait l'objet de débats scientifiques55,56. Le linguiste Timothy Mason explique par exemple que « si vous parcourez la toile, vous découvrirez que la majorité des documents sur l'acquisition du langage - que ce soit pour une première ou une seconde langue - est fortement nativiste et souvent considère comme un fait accompli que Chomsky et Fodor ont, pris ensemble, balayé toute possibilité d'opposition. Dans le monde anglophone - les Français sont, par exemple, bien plus sceptiques - la Grammaire Universelle ou encore le module langagier règnent sans partage »55.

Ses idées économiques et politiques ont été également critiquées par le Ludwig von Mises Institute qui considère que malgré le refus du marxisme par Chomsky, sa pensée est très inspirée de celle de Marx. En outre, il la considère comme contradictoire en ce qu'elle refuse le capitalisme57 tout en pensant pouvoir en conserver les fruits58.

Noam Chomsky essuie également quelques critiques du mouvement anti-guerre américain : le journaliste Jeffrey Blankfort lui reproche d'une part d'écarter les questions sur le 11-Septembre, d'autre part de s'être opposé au MIT à la campagne de désinvestissement et finalement de sous-estimer l'importance du Congrès sioniste sur le gouvernement américain (via notamment l'influence de l'AIPAC)59,60,61.

En France, Emmanuel Todd, qui défend dans son essai Après l'empire la thèse que les États-Unis ne sont plus tout-puissants, considère Chomsky comme un « antiaméricain structurel » qui n'a « aucune conscience de l'évolution du monde » et pour lequel « après comme avant l'effondrement de la menace soviétique, l'Amérique est la même, militariste, oppressive, faussement libérale, en Irak aujourd'hui comme au Vietnam il y a un quart de siècle »62.

Aux États-Unis, le journaliste Paul Bogdanor, a publié sur son site un document intitulé les « The Top 200 Chomsky Lies » (les « 200 plus gros mensonges de Chomsky »)63. Sur ce point Richard Dawkins, éthologiste reconnu, a cependant reproché à Bogdanor des erreurs, sa partialité et la faible crédibilité du document[réf. nécessaire]. Le politologue Philippe Moreau Defarges a parlé au début des années 1980 de « rage manichéenne » à propos des écrits de Chomsky et Edward Herman sur la « Washington Connection »64. Dans le même esprit, Richard Posner critique le caractère unilatéral des critiques chomskyennes et voit dans son « anarcho-pacifisme » un exemple de l'erreur classique - commise selon lui par de nombreux intellectuels issus de l'université - qui consiste à confondre la politique et l'éthique personnelle65.

Sa critique des médias a été qualifiée de « conspirationniste » par certains de ses critiques, bien que Chomsky lui-même s'en défende. Il ne prétend que produire une simple « analyse institutionnelle » et avance : « à mon avis, "théorie de la conspiration" est devenu l'équivalent intellectuel d'un mot de cinq lettres. C'est quelque chose que les gens disent quand ils ne veulent pas que vous réfléchissiez à ce qui se passe vraiment »66. Des points de vue se sont opposés en France, au sein des gauches radicales, sur cette question67.

5. Distinctions

Au cours de sa carrière, Chomsky a été invité à donner des conférences dans de nombreuses universités : cycle de conférences sur John Locke à l'université d'Oxford (printemps 1969), conférence commémorative sur Bertrand Russell à l'université de Cambridge (janvier 1970), conférence commémorative Nehru à New Delhi (1972), conférence Huizinga à Leiden (1977), conférence commémorative Davie sur la liberté académique au Cap (1997).

Chomsky a reçu des diplômes honorifiques de plus de trente universités un peu partout dans le monde. Il est membre de l'Académie américaine des arts et des sciences, de l'Académie nationale américaine des sciences et de la Société philosophique américaine. Il appartient également à d'autres associations et sociétés privées aux États-Unis et ailleurs, et est notamment récipiendaire du prix de la contribution scientifique de l'Association américaine de psychologie (1984).

Il a reçu le prix Kyoto en 198868, la médaille Helmholtz, le prix de la paix Dorothy Eldridge, et la médaille Benjamin Franklin en sciences cognitives et de l'information. Il a reçu deux fois le prix Orwell accordé par le Conseil américain des professeurs d'anglais pour ses « éminentes contributions à la sincérité et la clarté du langage public69 » en 1987 et 1989 (« Distinguished Contributions to Honesty and Clarity in Public Language »).

Chomsky a été reconnu « plus grand intellectuel vivant » par un sondage publié en 2005 par le magazine britannique Prospect. Il a réagi en déclarant qu'il ne faisait pas très attention aux sondages70.

Il a un nombre d'Erdos de quatre



Date: 11/08/2009
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