Léonard de Vinci (Leonardo di ser Piero da Vinci écouter, dit Leonardo da Vinci), né à Vinci le 15 avril 1452 et mort à Amboise le 2 mai 1519, est un peintre florentin et un homme d'esprit universel, à la fois artiste, scientifique, ingénieur, inventeur, anatomiste, peintre, sculpteur, architecte, urbaniste, botaniste, musicien, poète, philosophe et écrivain.
Après son enfance à Vinci, Léonard est élève auprès du célèbre peintre florentin Andrea del Verrocchio. Ses premiers travaux importants sont réalisés au service du duc Ludovic Sforza à Milan. Il oeuvre ensuite à Rome, Bologne et Venise et passe les dernières années de sa vie en France, à l'invitation du roi François Ier.
Léonard de Vinci est souvent décrit comme l'archétype et le symbole de l'homme de la Renaissance, un génie universel et un philosophe humaniste dont la curiosité infinie est seulement égalée par la force d'invention1. Il est considéré comme un des plus grands peintres de tous les temps et peut-être la personne la plus talentueuse dans le plus grand nombre de domaines différents ayant jamais vécu2.
C'est d'abord comme peintre que Léonard de Vinci est reconnu. Deux de ses oeuvres, La Joconde et La Cène, sont des peintures très célèbres, souvent copiées et parodiées1, et son dessin de l'Homme de Vitruve est également repris dans de nombreux travaux dérivés. Seules une quinzaine d'oeuvres sont parvenues jusqu'à nous ; ce petit nombre est dû à ses expérimentations constantes et parfois désastreuses de nouvelles techniques et à sa procrastination chroniqueNote 3. Néanmoins, ces quelques oeuvres, jointes à ses carnets, qui contiennent des dessins, des diagrammes scientifiques et des réflexions sur la nature de la peinture, sont un legs aux générations suivantes d'artistes seulement égalé par Michel-Ange.
Comme ingénieur et inventeur, Léonard développe des idées très en avance sur son temps, depuis l'hélicoptère, le char de combat, le sous-marin jusqu'à l'automobile. Très peu de ses projets sont construits, ou même seulement réalisables de son vivantNote 4, mais certaines de ses plus petites inventions comme une machine pour mesurer la limite élastique d'un câble entrent dans le monde de la manufactureNote 5. En tant que scientifique, Léonard de Vinci a beaucoup fait progresser la connaissance dans les domaines de l'anatomie, du génie civil, de l'optique et de l'hydrodynamique.
Léonard de Vinci est né le samedi 15 avril 1452 « à la troisième heure de la nuit », c'est-à-dire trois heures après l'Ave Maria, soit 22 h 303, au château de Vinci près de Florence, d'une relation amoureuse illégitime entre son père, Messer Piero Fruosino di Antonio da Vinci, notaire, chancelier et ambassadeur de la République florentine et descendant d'une riche famille de notables italiens, et sa mère, Caterina, une humble fille de paysans, dans le petit village toscan d'Anchiano, un village situé à deux kilomètres de VinciNote 6, sur le territoire de Florence en Italie4,5. Une étude en 2006 note qu'il semble probable que Caterina soit une esclave venue du Moyen-Orient6.
Léonard, ou plutôt Lionardo selon son nom de baptême3, est baptisé puis passe ses cinq premières années chez son père à Vinci3, où il est traité comme un enfant légitime7. Il a cinq marraines et cinq parrains, tous habitant le village3. Il reçoit une instruction et acquiert ainsi la lecture, l'écriture et l'arithmétique. Néanmoins, il n'étudie pas sérieusement le latin, base de l'enseignement traditionnel, et une orthographe chaotique montre que cette instruction n'est pas sans lacune : en tout cas, elle ne fut pas celle d'un universitaire8.
À cette époque, les conventions d'appellation modernes ne se sont pas encore développées en Europe. Seules les grandes familles font usage du nom de leur appartenance patronymique. L'homme du peuple est désigné par son prénom auquel on adjoint toute précision utile : le nom du père, le lieu d'origine, un surnom, le nom du maître pour un artisan, etc. Par conséquent, le nom de l'artiste est Leonardo di ser Piero Da Vinci, ce qui signifie Leonardo, fils de maître Piero De Vinci ; néanmoins le « Da » porte une majuscule afin de distinguer qu'il s'agit d'un patronyme3. Léonard lui-même signe simplement ses travaux Leonardo ou Io, Leonardo (« Moi, Léonard »). La plupart des autorités rapportent donc ses travaux à Leonardo sans le da Vinci. Vraisemblablement, il n'emploie pas le nom de son père parce qu'il est un enfant illégitime. « Vinci » provient du nom des « vinchi », plantes assimilables à des joncs, utilisées dans l'artisanat toscan et poussant près du ruisseau Vincio3.
En 1457, il a 5 ans quand sa mère se marie avec Antonio di Piero Buti del Vacca da Vinci, un paysan de la ville, avec lequel elle aura cinq enfants3. Il est alors admis dans la maison de la famille de son père, du village de Vinci, qui, entre-temps, a épousé une jeune fille d'une riche famille de Florence, âgée de 16 ans, Albiera degli Amadori3. Celle-ci, sans enfants, reporte toute son affection sur Léonard, mais elle meurt très jeune en couches en 14643. Considéré dès sa naissance comme un fils à part entière par son père, il ne fut cependant jamais légitimé. Son père se maria quatre fois et lui donna dix frères et deux soeurs légitimes venus après Léonard. Il aura de bons rapports avec la dernière femme de son père, Lucrezia Guglielmo Cortigiani, et laissera une note l'appelant « chère et douce mère »3.
Sa grand-mère paternelle, Lucia di ser Piero di Zoso, céramiste et proche de Léonard, est peut-être la personne qui l'initia aux arts3. Un présage connu rapporte qu'un milan venu du ciel aurait fait un vol stationnaire au-dessus de son berceau, la queue de l'oiseau le touchant au visage9,10.
Giorgio Vasari, le biographe du xvie siècle des peintres de la Renaissance, raconte, dans Le Vite11 (1568), l'histoire d'un paysan local qui demanda à ser PieroNote 7 que son talentueux fils peigne une image sur une plaque. Léonard peignit une image représentant un dragon crachant du feu, si réussie que ser Piero la vendit à un marchand d'art florentin, qui lui-même la revendit au duc de Milan. Entre-temps, après avoir réalisé un bénéfice, ser Piero acheta une plaque décorée d'un coeur transpercé d'une flèche, qu'il donna au paysan12.
Le jeune Léonard est proche de la nature, qu'il observe avec une vive curiosité et s'intéresse à tout. Il dessine déjà des caricatures et pratique l'écriture spéculaire en dialecte toscan. Giorgio Vasari, dans sa biographie de Léonard, raconte une anecdote sur les premiers pas dans la carrière artistique de celui qui allait devenir un des plus grands peintres de la Renaissance. Un jour, le père de Léonard, ser Piero, « prit plusieurs de ses dessins et les soumit à son ami Andrea del Verrocchio qu'il pria instamment de lui dire si Léonard devait se consacrer à l'art du dessin et s'il pourrait parvenir à quelque chose en cette matière. Andrea s'étonna fort des débuts extraordinaires de Léonard et exhorta ser Piero à lui permettre de choisir ce métier, sur quoi, ser Piero résolut que Léonard entrerait à l'atelier d'Andrea. Léonard ne se fit pas prier ; non content d'exercer ce métier, il exerça ensuite tous ceux qui se rattachent à l'art du dessin. » C'est ainsi que Léonard est placé comme élève apprenti à partir de 1469 dans un des plus prestigieux ateliers d'art de la Renaissance de Florence sous le patronage d'Andrea del Verrocchio à qui il doit sa formation multidisciplinaire d'excellence, où il côtoie d'autres artistes comme Sandro Botticelli, Le Pérugin et Domenico Ghirlandaio9,13. En effet, jusqu'en 1468, Léonard est recensé comme résident de la commune de Vinci mais il est très souvent à Florence où son père travaille3.
Verrocchio est un artiste renomméNote 8 très éclectique : orfèvre et forgeron de formation13, peintre, sculpteur et fondeur qui travaille notamment pour le riche mécène Laurent de Médicis. Les commandes principales sont des retables et des statues commémoratives pour les églises. Cependant, les plus grandes commandes sont des fresques pour les chapelles, comme celles créées par Domenico Ghirlandaio et son atelier pour la Chapelle Tornabuoni et de grandes statues telles que les statues équestres de Gattamelata par Donatello et Bartolomeo Colleoni de Verrocchio14. Léonard travaille également avec Antonio Pollaiuolo dont l'atelier est proche de celui de Verrocchio.
Après un an passé au nettoyage des pinceaux et autres petits travaux d'apprenti, Léonard est initié par Verrocchio aux nombreuses techniques pratiquées dans un atelier traditionnel, bien que certains artisans soient spécialisés dans des tâches telles que l'encadrement, les dorures et le travail du bronze. Il a donc eu l'occasion d'apprendre notamment des bases de la chimie, de la métallurgie, du travail du cuir et du plâtre, de la mécanique et de la menuiserie, ainsi que des techniques artistiques de dessin, de peinture et de sculpture sur marbre et sur bronze15,16. Il est également initié à la préparation des couleurs, à la gravure et à la peinture des fresques. Par la suite, Verrocchio confie à son élève, qu'il trouve exceptionnel, le soin privilégié de terminer ses tableaux. Mais la formation reçue lors de son apprentissage à l'atelier Verrochio semble plus large encore. Léonard acquiert la connaissance du calcul algorithmique et il cite les deux abacistes florentins les plus en vue, Paolo Toscanelli del Pazzo et Leonardo Chernionese8. Plus tard, Léonard paraît bien faire allusion à la Nobel opera de arithmética, de Piero Borgi, imprimée à Venise en 1484, et qui représente bien la science de ces écoles d'abaques8.
Il n'y a pas d'oeuvre de Léonard connue pendant cette période mais, selon Vasari, il aurait collaboré à une peinture nommée Le Baptême du Christ (1472-1475)12. C'est d'ailleurs, selon la légende, à cause de la qualité du petit ange peint par Vinci pour ce tableau que Verrocchio, se sentant surpassé par son jeune assistant, décide de ne plus peindre7. Selon la tradition qui veut que ce soit l'apprenti qui prenne la pose4, Léonard aurait servi de modèle à la statue en bronze de David de Verrocchio. Il est également supposé que l'Archange Raphaël dans l'oeuvre Tobie et l'Ange de Verrocchio est le portrait de Léonard4.
En 1472, à l'âge de 20 ans, il est enregistré dans le « Livre rouge » de la guilde de saint Luc, célèbre guilde des artistes peintres et des docteurs en médecine de Florence, le Campagnia de Pittori. Il y a quelques traces de cette période de la vie de Léonard, dont la date d'un de ses premiers travaux, un dessin fait à la plume et à l'encre, Paysage de Santa Maria della neve (1473). Par la suite, sa carrière de peintre débute par des oeuvres immédiatement remarquables telles que L'Annonciation (1472-1475). Il améliore la technique du sfumato (impression de brume) à un point de raffinement jamais atteint avant lui.
Il est toujours mentionné en 1476 comme assistant de Verrocchio, car, même après que son père lui eut mis en place son propre atelier, son attachement à Verrocchio est tel qu'il a continué à collaborer avec lui9. Pendant cette période, il reçoit des commandes personnelles et peint son premier tableau, La Madone à l'oeillet (1476).
Léonard s'affirme presque tout de suite comme un ingénieur : en 1478, il offre de soulever, sans en causer la ruine, l'église octogone de Saint-Jean de Florence, le baptistère actuel, pour y ajouter un soubassement8.
Les archives judiciaires de 1476 montrent que, avec trois autres hommes, il a été accusé de sodomie, pratique à l'époque illégale à Florence, mais tous ont été acquittés des charges retenues17, probablement grâce à l'intervention de Laurent de Médicis. Ce document partant d'une accusation anonyme ne permet cependant pas d'affirmer avec certitude que Léonard était homosexuel17.
Deux années plus tard, à 26 ans, il quitte son maître après l'avoir brillamment dépassé dans toutes les disciplines. Léonard de Vinci devient alors maître-peintre indépendant.
En 1481, le monastère de San Donato lui commande L'Adoration des mages (1481), mais Léonard ne terminera jamais ce tableau, probablement déçu ou vexé de ne pas être choisi par le pape Sixte IV pour la décoration de la chapelle Sixtine du Vatican à Rome, où il est en concurrence avec plusieurs peintres18. Le néoplatonisme en vogue à l'époque à Florence joue peut-être également un rôle dans son départ vers une ville plus académique et pragmatique comme Milan18. Cela est probablement plus en phase avec son esprit, basé sur un développement empirique, grâce à ses multiples expériences.
Vinci peint La Vierge aux rochers (1483-1486) pour la confraternité de l'Immaculée Conception à la chapelle San Francesco Grande de Milan, mais ce tableau sera au centre d'un conflit entre l'auteur et ses commanditaires pendant plusieurs années18. En effet, Léonard s'engage avec le droit de pouvoir copier l'oeuvre mais cela lui est refusé par la suite, il est donc contraint de stopper son travail, provoquant du retard. Le problème ne sera résolu que par des décisions de justice et les interventions d'amis.
À Florence, le travail de Léonard ne passe pas inaperçu. Laurent de Médicis apprend que Léonard a créé une lyre argentée en forme de tête de cheval. Impressionné par son travail, il envoie Léonard à Milan comme émissaire et pour qu'il travaille pour le mécène et duc de Milan, Ludovic Sforza. Le but de cette manoeuvre est de rester en bonnes relations avec ce rival important19. Il est très probablement accompagné par le musicien Atalante Migliorotti18. Il écrit également une lettre à Ludovic, lettre qui figure dans le codex Atlantico, qui décrit les nombreuses et diverses choses merveilleuses qu'il pourrait faire dans le domaine de l'ingénierie et informe le seigneur qu'il peut aussi peindre20,13. Ce texte est bien dans la tradition des ingénieurs qui l'ont précédé, il reprend le même programme, les mêmes curiosités et les mêmes recherches : désormais, c'est bien en ingénieur que Léonard va vivre et travailler8. Sforza l'emploie à des tâches diverses sous le titre mythique d'« Apelle florentin », réservé aux grands peintres18. L'artiste est ainsi « ordonnateur de fêtes et spectacles aux décors somptueux » du palais et invente des machines de théâtre qui émerveillent le public ; il peint plusieurs portraits de la cour milanaise. Léonard de Vinci est porté sur la liste des ingénieurs des Sforza et lorsqu'on l'envoie à Pavie, il est qualifié d' « ingeniarius ducalis »8. Mais des contacts avec les cercles éclairés de Milan lui montrent également toutes les lacunes de sa formation8.
Il s'occupe également de l'étude pour le dôme de la cathédrale de Milan et d'une version en argile pour faire un moule pour le « Gran Cavallo » (« Il Cavallo », le cheval de Léonard), une imposante statue équestre en l'honneur de Francesco Sforza, le père et prédécesseur de Ludovic, faite de soixante-dix tonnes de bronze, ce qui constitue une véritable prouesse technique pour l'époque. Cette statue reste inachevée plusieurs années, Michel-Ange reconnaissant lui-même qu'il est incapable de la fondre9. Lorsque Léonard finit la version en argile pour le moule et ses plans pour le processus de fonte, le bronze prévu pour la statue est utilisé à la création de canons pour défendre la ville de l'invasion de Charles VIII de France13.
En 1490, il participe à une sorte de congrès d'architectes et d'ingénieurs, réunis pour l'achèvement du Dôme de Milan et fait la connaissance d'un autre ingénieur dont la renommée est bien établie, Francesco di Giorgio Martini. Ce dernier l'emmène à Parme, avec Giovanni Antonio Amadeo et Luca Fancelli, où on lui a demandé une autre consultation pour la construction de la cathédrale8.
C'est à cette époque que Léonard réfléchit à des projets techniques et militaires. Il améliore les horloges, le métier à tisser, les grues et de nombreux autres outils. Il étudie aussi l'urbanisme et propose des plans de cités idéales. Il s'intéresse à l'aménagement hydraulique et un document de 1498 le cite comme ingénieur et chargé de travaux sur les fleuves et les canaux8. Bien que vivant à Milan entre 1493 et 1495, Léonard a noté dans ses documents d'imposition qu'il a, à sa charge, une femme appelée Caterina. À la mort de celle-ci, en 1495, la liste détaillée des dépenses relatives à ses funérailles laisse à penser que c'était sa mère plutôt qu'une servante21,9.
Vers 1490, il crée une académie portant son nom où il enseigne pendant quelques années son savoir tout en notant ses recherches dans de petits traités. La fresque La Cène (1494-1498) est peinte pour le couvent dominicain de Santa Maria delle Grazie9. En 1496, Luca Pacioli arrive à Milan ; Léonard de Vinci se lie tout de suite d'amitié et réalise pour lui les planches gravées de la Divina proportione8. Un peu plus tard, en 1498, il réalise le plafond du château des Sforza18.
En 1499, lorsque les troupes de Louis XII de France prennent le Duché de Milan et destituent Ludovic Sforza, qui s'enfuit en Allemagne chez son neveu Maximilien Ier du Saint Empire22, sa statue équestre en argile est détruite par les Français, qui l'utilisent comme cible d'entraînementNote 9. Louis XII revendique ses droits à la succession des Visconti22. Louis XII envisage de découper le mur représentant La Cène pour l'emporter en France, comme l'imaginera également Napoléon Ier quelques siècles plus tard18. Avec la chute de Sforza, Léonard entre au service du comte de Ligny, Louis de Luxembourg, qui lui demande de préparer un rapport sur l'état de la défense militaire de la Toscane8. Le retour inopiné de Ludovic Sforza modifie ses projets et, avec son assistant Salai, il fuit Milan en février 1499 pour Mantoue puis Venise.
En mars 1499, Léonard de Vinci est alors employé comme architecte et ingénieur militaire9,4 par les Vénitiens, qui cherchent à protéger leur cité. Il élabore des méthodes pour défendre la ville d'une attaque navale des Turcs avec, notamment, l'invention d'un scaphandre à casque rudimentaire. Les Turcs n'attaquant pas, l'invention ne sera jamais utilisée et, fin avril, il est de retour à Florence. Il étudie les cours d'eau du Frioul et propose un relèvement du cours de l'Isonzo par des écluses, de façon à pouvoir inonder toute une région qui couvrait les approches de Venise8.
En avril 1500, il revient à Venise pour deux mois, après avoir séjourné à Mantoue, en compagnie du moine mathématicien Luca Pacioli, où il fut fortement remarqué pour un portrait d'Isabelle d'Este. Une lettre du 14 avril 1501, par laquelle Fra Pietro da Nuvolaria répond à la duchesse de Mantoue, indique que « ses expériences mathématiques l'ont tellement détourné de la peinture, qu'il ne peut plus supporter le pinceau23. » Ainsi, Léonard de Vinci poursuivait bien des recherches plus larges8. Il séjourne dans le couvent de la Santissima Annunziata en 1501 et reçoit la consécration pour l'esquisse préparatoire La Vierge, l'Enfant Jésus avec sainte Anne et saint Jean Baptiste, une oeuvre qui provoque une telle admiration que « hommes et femmes, jeunes et vieux » viennent la voir « comme s'ils participaient à un grand festival »12,Note 10. Il fait un bref séjour à Rome à la villa d'Hadrien à Tivoli22. Il travaille La Madone aux fuseaux pour Florimond Robertet, le secrétaire d'État de Louis XII de France22.
En 1502, il est appelé par le prince César Borgia, duc de Valentinois et fils du pape Alexandre VI, avec le titre de « capitaine et ingénieur général »4. Il séjourne dans les Marches et la Romagne pour inspecter les forteresses et les territoires nouvellement conquis, remplissant ses carnets de ses multiples observations, cartes, croquis de travail et copies d'ouvrages consultés dans les bibliothèques des villes qu'il traverse8. Il rencontre Nicolas Machiavel, « espion » de Florence au service de Borgia.
Le 18 octobre 1503, il retourne à Florence où il remplit les fonctions d'architecte et d'ingénieur hydraulicien8. Il se réinscript à la guilde de saint Luc et passe deux années à préparer et faire La bataille d'Anghiari (1503-1505), une fresque murale imposante4 de sept mètres sur dix-sept22, avec Michel-Ange faisant La bataille de Cascina sur la paroi opposée22. Les deux oeuvres seront perdues, la peinture de Michel-Ange est connue à partir d'une copie d'Aristotole da Sangallo en 154224 et la peinture de Léonard est connue uniquement à partir de croquis préparatoires et de plusieurs copies de la section centrale, dont la plus connue est probablement celle de Pierre Paul Rubens4. Un feu utilisé pour sécher plus rapidement la peinture ou la qualité du matériel semblent être à l'origine de l'altération de l'oeuvre, laquelle a par la suite probablement été recouverte par une fresque de Giorgio Vasari22.
Léonard est consulté à plusieurs reprises comme expert, notamment pour étudier la stabilité du campanile de San Miniato al Monte et lors du choix de l'emplacement du David de Michel-Ange22 où son avis s'oppose à celui de Michel-Ange. C'est à cette période qu'il présente à la cité de Florence son projet de déviation de l'Arno destiné à créer une voie navigable capable de relier Florence à la mer avec la maîtrise des terribles inondations8. Cette période est importante pour la formation scientifique de Léonard qui, dans ses recherches hydrauliques, pratique l'expérience. En 1504, il revient travailler à Milan, qui est désormais sous le contrôle de Maximilien Sforza, grâce au soutien des mercenaires suisses. Beaucoup des élèves et des adeptes les plus en vue dans la peinture connaissent ou travaillent avec Léonard à Milan9, y compris Bernardino Luini, Giovanni Antonio Boltraffio et Marco d'OggionoNote 11. Son père meurt le 9 juillet, et Léonard est écarté de l'héritage en raison de son illégitimité, mais son oncle fera plus tard de lui son légataire universel22. La même année, Vinci réalise des études anatomiques et tente de classer ses innombrables notes. Léonard commence à travailler La Joconde (1503-1506 puis 1510-1515), qui est habituellement considérée comme un portrait de Mona Lisa del Giocondo, née Lisa Maria Gherardini. Cependant, de nombreuses interprétations au sujet de ce tableau sont encore discutées.
En 1505, il étudie le vol des oiseaux et rédige le codex de Turin. Désormais, observations, expériences et reconstructions a posteriori se succèdent8. Une année plus tard, le gouvernement de Florence lui permet de rejoindre le gouverneur français de Milan Charles d'Amboise, qui le retient auprès de lui malgré les protestations de la seigneurie. Léonard est tiraillé entre Français et Toscans ; il est pressé par le tribunal de finir La Vierge aux rochers avec son élève Ambrogio de Predis alors qu'il travaille sur La bataille d'Anghiari22.
Le peintre devient l'unique héritier de son oncle Francesco en 1507, mais les frères de Léonard entament une procédure pour casser le testament22. Léonard fait appel à Charles d'Amboise et Florimond Robertet pour qu'ils interviennent en sa faveur22. Louis XII de France est à Milan, et Léonard est de nouveau l'ordonnateur des fêtes données dans la capitale lombarde.
En 1508, il vit dans la maison de Piero di Braccio Martelli avec le sculpteur Giovanni Francesco Rustici à Florence25 mais part habiter à Milan, à la Porta Orientale dans la paroisse de Santa Babila4. Louis XII revient bientôt en Italie et entre à Milan en mai 1509. Presque aussitôt, il dirige ses armées contre Venise, et Léonard suit le roi en qualité d'ingénieur militaire ; il assiste à la bataille d'Agnadel8. À la mort du gouverneur Charles d'Amboise en 1511 et après la bataille de Ravenne en 1512, la France quitte le Milanais. Cette seconde période milanaise permet à Léonard de Vinci d'approfondir ses recherches en science pure. La parution en 1509 du De expendentis et fugiendis rebus de Giorgio Valla eut certainement une grande influence sur lui8.
En septembre 1513, Léonard de Vinci part pour Rome travailler pour le pape Léon X, membre de la riche et puissante famille des Médicis. Au Vatican, Raphaël et Michel-Ange sont tous deux très actifs à ce moment4. Devant le succès des Sangallo, Léonard ne se voit confier que de modestes missions et semble n'avoir participé ni à la construction des nombreuses forteresses romaines qui marqueront l'évolution de la poliorcétique, ni à l'embellissement de la capitale. Pire, sa peinture elle-même ne semble plus de mise, et il se réfugie dans une autre spécialité, peut-être sa préférée8, l'hydraulique, avec un projet d'assèchement des marais pontins, appartenant au duc Julien de Médicis8. Léonard exécute, en 1514, la série des « Déluges », qui est une réponse partielle à la version offerte par Michel-Ange dans la chapelle Sixtine.
« Les Médicis m'ont créé, les Médicis m'ont détruit », écrivit Léonard de Vinci, sans doute pour souligner les déceptions de son séjour romain. Sans doute pensait-il que jamais on ne lui laisserait donner sa mesure sur un chantier important. Sans doute connaissait-on aussi son instabilité, son découragement rapide, sa difficulté à terminer ce qu'il avait entrepris8.
En septembre 1515, le nouveau roi de France François Ier reconquiert le Milanais par la bataille de Marignan26. En novembre 1515, Léonard se penche sur un nouveau projet d'aménagement du quartier Médicis à Florence. Le 19 décembre, il est présent à Bologne pour la réunion entre François Ier et le pape Léon X9,27,28. Francois Ier charge Léonard de concevoir un lion mécanique pouvant marcher et dont la poitrine s'ouvre pour révéler des lys12. On ne sait pas pour quelle occasion ce lion a été conçu, mais il peut avoir été lié à l'arrivée du roi à Lyon ou aux pourparlers de paix entre le roi et le papeNote 12.
Il part travailler en France en 1516 avec son assistant artiste peintre Francesco Melzi et Salai25 où son nouveau mécène et protecteur, le roi de France François Ier l'installe au manoir de son enfance, le clos Lucé, à proximité du château d'Amboise, la demeure de l'époque du roi, en tant que « premier peintre, premier ingénieur et premier architecte du roi »7 avec une pension annuelle de mille écus29. Peut-être à la cour de France, s'intéressait-on plus au peintre, à l'artiste qu'à l'ingénieur et, jusque là, seuls des Français s'étaient attachés l'illustre Florentin en qualité d'artiste : en Italie il n'avait jamais été engagé que comme ingénieur8. En lui donnant le clos Lucé, François Ier dit à Léonard : « Fais ce que tu veux ». Il n'est pas le premier artiste à recevoir cet honneur ; Andrea Solario et Fra Giovanni Giocondo l'avaient précédé quelques années avant25. François Ier est fasciné par Léonard de Vinci et le considère comme un père. Le manoir et le château d'Amboise étaient d'ailleurs reliés par un souterrain permettant au souverain de rendre visite à l'homme de science en toute discrétion. Léonard projette la construction d'un nouveau palais à Romorantin avec le détournement d'un fleuve dans la Sauldre. Il esquisse un projet de canal entre la Loire et la Saône et organise des fêtes, comme celle que le roi donne au château d'Argenton en octobre 1517 en l'honneur de sa soeur.8
Le 23 avril 1519, Léonard de Vinci, malade depuis de longs mois, rédige son testament devant un notaire d'Amboise. Il demande un prêtre pour recevoir sa confession et lui donner l'extrême onction12. Il est emporté par la maladie le 2 mai 151925, au Clos Lucé, à l'âge de 67 ans. La tradition selon laquelle il mourut dans les bras de François Ier repose peut-être sur une interprétation erronément littérale d'une épitaphe rapportée par Giorgio Vasari30. Cette épitaphe, qui n'a jamais été vue sur aucun monument, contient les mots « Sinu Regio », qui peuvent signifier, au sens propre sur la poitrine d'un roi, mais aussi, dans un sens métaphorique, dans l'affection d'un roi, et peuvent n'être qu'une allusion à la mort de Léonard dans un château royal31. De plus, à cette époque, la cour est au château de Saint-Germain-en-Laye, où la reine accouche du roi Henri II de France, le 31 mars, et les ordonnances royales données le 1er mai sont datées de cet endroit. Le journal de François Ier ne signale d'ailleurs aucun voyage du roi jusqu'au mois de juillet. Pour finir, l'élève de Léonard de Vinci, Francesco Melzi, auquel il lègue ses livres et ses pinceaux et qui est dépositaire de son testament, écrit au frère du grand peintre une lettre où il raconte la mort de son maître. Pas un mot n'y fait allusion à la circonstance mentionnée plus haut qui, si elle avait été avérée, n'aurait certainement pas été oubliée32.
Selon ses dernières volontés, soixante mendiants suivent son cortège et il est enterré à la chapelle Saint-Hubert, qui est dans l'enceinte du château d'Amboise et domine la ville.
Léonard de Vinci, toute sa vie célibataire et n'ayant jamais eu ni femme ni enfants, lègue l'ensemble de son oeuvre considérable pour la faire publier à son disciple préféré et élève depuis ses 10 ans, Francesco Melzi. Il lui offre notamment ses manuscrits, carnets, documents et instruments. Après l'avoir accompagné en France, il reste près de Léonard de Vinci jusqu'à sa mort et gère son héritage pendant les cinquante années suivant la mort de son maître. Cependant, il ne publiera rien de l'oeuvre de Léonard et de nombreuses peintures, dont la Joconde, se trouvaient encore en sa possession dans son atelier. Les vignes de Léonard seront divisées entre Salai, un autre élève et disciple très apprécié par Léonard et entré à son service à l'âge de 15 ans, et son servant Battista di Vilussis. Le terrain sera légué aux frères de Léonard, et sa servante reçut un manteau noir à bords de fourrure33.
C'est le début de la dispersion et la perte des deux tiers des cinquante mille documents originaux multidisciplinaires rédigés en vieux toscan et cryptés par Léonard de Vinci. Chaque carnet, manuscrit, page, croquis, dessin, texte et note est considéré comme une oeuvre d'art à part entière. Il ne resterait que treize mille documents environ.
Vingt ans après la mort de Léonard, François Ier dira au sculpteur Benvenuto Cellini :
Léonard commence son apprentissage avec Andrea del Verrocchio en 1466, année où le maître de Verrocchio, le grand sculpteur Donatello, meurt. Le peintre Paolo Uccello, dont les premières expériences avec la perspective influencèrent le développement de la peinture des paysages, est alors très âgé. De même, les peintres Piero della Francesca et Fra Filippo Lippi, le sculpteur Luca della Robbia et de l'architecte et écrivain Leon Battista Alberti ont environ 60 ans. Les artistes les plus renommés de la génération suivante sont le maître de Léonard : Andrea del Verrocchio, Antonio Pollaiuolo et le sculpteur Mino da Fiesole.
La jeunesse de Léonard se déroule dans une maison de Florence ornée des oeuvres de ces artistes et par les contemporains de Donatello, Masaccio dont les fresques figuratives et réalistes sont imprégnées d'émotion, et Lorenzo Ghiberti, dont les Portes du Paradis montrent la complexité des compositions, alliant travaux architecturaux et soin des détails. Piero della Francesca a fait une étude détaillée de la perspective et est le premier peintre à faire une étude scientifique de la lumière. Ces études et les traités de Leone Battista Alberti doivent avoir un profond effet sur les jeunes artistes, et en particulier sur les propres observations de Léonard et ses oeuvres d'art35,36,37.
La représentation du nu de Masaccio montrant Adam et Ève quittant le paradis, avec Adam sans ses organes génitaux masqués par une feuille de vigne, crée une image très expressive des formes humaines qui influencera beaucoup la peinture, notamment parce qu'elles sont exprimées en trois dimensions par une utilisation novatrice de la lumière et de l'ombre, que Léonard développera dans ses propres oeuvres. L'humanisme de la Renaissance influençant le David de Donatello peut être vu dans les peintures les plus tardives de Léonard, en particulier Saint Jean Baptiste35.
Florence est dirigée à l'époque par Laurent de Médicis et son jeune frère Julien, tué par la conjuration des Pazzi en 1478. Ludovic Sforza, qui gouverne Milan entre 1479 et 1499 et chez qui Léonard a été envoyé comme ambassadeur de la cour des Médicis, est aussi son comptemporain35,36. C'est également par l'intermédiaire des Médicis que Léonard fait la connaissance d'anciens philosophes humanistes dont Marsile Ficin, partisan du néoplatonisme, et Cristoforo Landino, auteur de commentaires sur les écrits classiques. Jean Pic de la Mirandole est également associé à l'académie des Médicis37,38. Léonard écrit plus tard dans la marge d'un journal « Les Médicis m'ont fait et les Médicis m'ont détruit » ; mais le sens de ce commentaire reste discuté9.
Bien que l'on cite ensemble les trois « géants » de la haute Renaissance, Léonard de Vinci, Michel-Ange et Raphaël ne sont pas de la même génération. Léonard a 23 ans quand Michel-Ange est né et 31 ans à la naissance de Raphaël. Raphaël mourra en 1520, une année après de Vinci et Michel-Ange vivra encore quarante-cinq ans36,37.
Gian Giacomo Caprotti da Oreno39, dit « il Salaino » (« le petit diable ») ou Salai, a été décrit par Giorgio Vasari comme « un gracieux et beau jeune homme avec des cheveux fins et bouclés, en lequel Léonard était grandement ravi »12. Salai entre au service de Léonard en 1490 à l'âge de 10 ans. Leur relation n'est pas facile. Un an plus tard, Léonard fait une liste des délits du garçon, le qualifiant de « voleur », « menteur », « têtu » et « glouton ». Le « petit diable » avait volé de l'argent et des objets de valeur à au moins cinq reprises, et avait dépensé une fortune en vêtements, dont vingt-quatre paires de chaussures40. Néanmoins, les carnets de Léonard des premières années de leur relation contiennent beaucoup d'images de l'adolescent. Salai est resté son serviteur et son assistant durant les trente années suivantes4.
En 1506, Léonard prend comme élève Francesco Melzi, âgé de 15 ans, fils d'un aristocrate Lombard. Melzi devient le compagnon de vie de Léonard et il est considéré comme son élève favori. Il se rend en France avec Léonard et Salai, et reste avec lui jusqu'à sa mort9. Salai quitte cependant la France en 1518 pour retourner à Milan. Il y construit une maison dans le vignoble de la propriété de Léonard qu'il s'est finalement vu léguer. En 1525, Salai meurt d'une mort violente, soit assassiné, soit à la suite d'un duel41.
Salai exécute un certain nombre de tableaux sous le nom d'« Andrea Salai », mais, bien que Giorgio Vasari prétende que Léonard « lui a appris beaucoup de choses sur la peinture »12, son travail est généralement considéré comme étant de moindre valeur artistique que celui des autres élèves de Léonard, comme Marco d'Oggiono ou Giovanni Antonio Boltraffio. En 1515, il peint une version nue de La Joconde, dite « Monna Vanna »42. À sa mort en 1525, la Joconde appartenant à Salai a été évaluée à cinq cent cinq lires, ce qui est une valeur exceptionnellement élevée pour un portrait de petite taille41.
Giovanni Antonio Boltraffio et Marco d'Oggiono rejoignent l'atelier de Léonard lorsqu'il est de retour à Milan, mais de nombreux autres élèves moins connus tels que Ambrogio de Predis, Bernardino dei Conti, Francesco Napoletano ou encore Andrea Solario sont aussi présents.
Léonard de Vinci a eu beaucoup d'amis qui sont reconnus dans leurs domaines respectifs ou ont eu une influence importante sur l'Histoire. Il s'agit notamment du mathématicien Luca Pacioli avec qui il a collaboré pour un livre, César Borgia au service duquel il a passé deux années, Laurent de Médicis et le médecin Marcantonio della Torre. Il a rencontré Nicolas Machiavel, avec qui il développera plus tard une étroite amitié, et Michel-Ange avec qui il a été rival. Parmi ses amis, se trouvent également Franchini Gaffurio et Isabelle d'Este. Léonard semble ne pas avoir eu d'étroites relations avec les femmes, sauf avec Isabelle. Il a fait un portrait d'elle, au cours d'un voyage qui le mena à Mantoue, qui semble avoir été utilisé pour créer une peinture, aujourd'hui perdue9. Il était également ami de l'architecte Jacopo Andrea da Ferrara jusqu'à son assassinat22.
Au-delà de l'amitié, Léonard garde sa vie privée secrète. De son vivant, ses capacités extraordinaires d'invention, son « exceptionnelle beauté physique », sa « grâce infinie », sa « grande force et générosité », la « formidable ampleur de son esprit », telles que décrites par Vasari12, ont attisé la curiosité. De nombreux auteurs ont spéculé sur les différents aspects de la personnalité de Léonard. Sa sexualité a souvent été l'objet d'études, d'analyses et de spéculations. Cette tendance a commencé au milieu du xvie siècle et a été relancée au cours des xixe et xxe siècles, notamment par Sigmund Freud43.
Les relations les plus intimes de Léonard sont avec ses élèves : Salai et Francesco Melzi. Melzi a écrit que les sentiments de Léonard étaient un mélange d'amour et de passion. Il a été décrit depuis le xvie siècle que ces relations étaient d'un caractère érotique. Depuis cette date, on a beaucoup écrit au sujet de son homosexualité, voire de sa pédérastie présumée et du rôle de cette sexualité dans son art, en particulier dans l'impression androgyne et érotique qui se manifeste dans Bacchus et plus explicitement dans un certain nombre de ses dessins44.
Léonard est passionné par la nature et les animaux au point d'en devenir végétarien45 et d'acheter des oiseaux en cage pour leur rendre leur liberté46. Il est également très bon musicien. Il est admis que Léonard était gaucher et ambidextre, ce qui expliquerait son utilisation de l'écriture spéculaire3.
Malgré la relative récente prise de conscience et l'admiration vouée à Léonard comme scientifique et inventeur, son immense renommée de la plus grande partie de ces quatre cents dernières années a reposé sur ses réalisations en tant que peintre et sur une poignée d'oeuvres, authentifiées ou lui étant attribuées qui ont été considérées comme faisant partie des plus beaux chefs-d'oeuvre jamais créésNote 13.
Ces peintures sont célèbres pour de nombreuses raisons et qualités qui ont été beaucoup imitées par les étudiants et discutées très longuement par les connaisseurs et les critiques. Parmi les qualités qui font des travaux de Léonard des pièces uniques sont souvent citées les techniques novatrices qu'il a utilisées dans l'application de la peinture, sa connaissance approfondie de l'anatomie humaine et animale, de la botanique et la géologie mais aussi son utilisation de la lumière, son intérêt pour la physiognomonie et la façon dont les humains utilisent le registre des émotions et les expressions gestuelles, son sens de la composition et son sens subtil des dégradés de couleurs. Il maîtrisait notamment la technique du « sfumato » et le rendu des ombres et des lumières. Toutes ces qualités sont réunies dans ses tableaux les plus connus, La Joconde, La Cène et La Vierge aux rochers47.
Léonard a réalisé de très nombreux portraits de femmes, mais un seul portrait d'homme, celui d'un musicien, a été retrouvé à ce jour. On lui prête souvent la phrase suivante : « Le personnage le plus digne d'éloges est celui qui, par son mouvement, traduit le mieux les passions de l'âme », qui explique bien sa pensée de peintre. Cependant, il a aussi dessiné des croquis caricaturaux de ses contemporains dans la mode du grotesque.
Léonard est célèbre pour ses dessins et ses peintures dans lesquels il introduit une conception innovante48 de la perspective. Vinci estimait que les arts picturaux forment une science49. Mais l'utilisation, souvent supposée, du nombre d'or dans son oeuvre n'est pas avérée50. Son travail sur les proportions, à l'image de l'Homme de Vitruve, se limite à l'usage de fractions d'entiers.
Les premiers travaux de Léonard de Vinci commencent avec Le Baptême du Christ peint avec Andrea del Verrocchio, à qui il est attribué, et ses autres élèves. Deux autres peintures semblent dater de cette période à l'atelier, qui sont tous les deux des « Annonciations ». L'un est petit, large de cinquante-neuf centimètres pour seulement quatorze de haut. Il s'agit d'une prédelle se plaçant à la base d'une composition plus large, et, dans ce cas, pour un tableau de Lorenzo di Credi duquel il fut séparé. L'autre est un travail beaucoup plus important, de deux cent dix-sept centimètres de large4.
Dans ces deux annonciations, Léonard a dépeint la Vierge Marie assise ou agenouillée à la droite de l'image, et un ange de profil s'approchant d'elle par la gauche. Un gros travail est fait sur les mouvements des vêtements et les ailes de l'ange. Bien que précédemment attribuée à Domenico Ghirlandaio, l'oeuvre est désormais presque universellement attribuée à de Vinci51.
Dans le tableau le plus petit, Marie détourne ses yeux et plie ses mains dans un geste qui symbolise la soumission à la volonté de Dieu. Dans le tableau le plus grand cependant, Marie ne semble pas aussi docile. La jeune femme, interrompue dans sa lecture par ce messager inattendu qu'est l'ange, place son doigt dans livre saint pour repérer là où elle en est et lève la main dans un geste de salutation ou de surprise35. Son calme semble montrer qu'elle accepte son rôle de mère de Dieu, non pas avec résignation mais avec confiance. Dans ce tableau, le jeune Léonard présente le visage humaniste de la Vierge Marie, reconnaissant le rôle de l'humanité dans l'incarnation de DieuNote 14. Ce dernier tableau a visiblement été travaillé par plusieurs personnes, puisque certaines discontinuités de style sont perceptibles, comme une « erreur » de perspective sur le bras droit de Marie, le pré fleuri comme une broderie ou bien les ailes de rapace de l'ange17. Le style du lutrin du tableau pourrait être un clin d'oeil au style du tombeau de Pierre de Médicis réalisé par Verrochio en 147217.
Dans les années 1480, Vinci reçoit deux très importantes commandes et commence à travailler à une autre oeuvre qui est également d'une grande importance en termes de composition. Malheureusement, deux des trois oeuvres n'ont jamais été terminées et la troisième a été si longue à créer qu'elle fut soumise à de longues négociations sur son achèvement et son paiement. L'un de ces tableaux est Saint Jérôme. Liana Bortolon, dans son livre The Life and Times of Leonardo (1967), associe ce tableau à une période difficile de la vie de Léonard. Les signes de la mélancolie peuvent se lire dans son journal : « Je pensais que j'apprenais à vivre ; j'apprenais seulement à mourir. »9.
La composition du tableau est très inhabituelle, même s'il est vrai que certaines parties de celui-ci furent découpéesNote 15. Le tableau dépeint la pénitence de Jérôme de Stridon dans le désert. Pénitent, Jérôme occupe le milieu de l'image, le corps légèrement en diagonale. Sa posture agenouillée prend une forme trapézoïdale, avec un bras tendu vers le bord extérieur de la peinture et son regard allant dans la direction opposée. Jack Wasserman souligne le lien entre cette peinture et les études anatomiques de Léonard26. Au premier plan de l'ensemble s'étend son symbole, un grand lion, dont le corps et la queue effectuent une double courbe à travers la base de l'image. L'autre caractéristique intéressante est l'aspect superficiel du paysage de pierres rocailleuses où se trouve le personnage.
L'affichage audacieux et novateur de la composition, avec les éléments du paysage et le drame personnel, apparaît également dans le grand chef-d'oeuvre inachevé qu'est L'Adoration des mages, une commande des moines de San Donato à Scopeto. C'est un tableau à la composition très complexe, et Léonard a fait de nombreux dessins et études préparatoires, y compris une très détaillée pour la perspective linéaire d'une ruine d'architecture classique qui sert de toile de fond à la scène. Mais, en 1482, Léonard part à Milan, à la demande de Laurent de Médicis, afin de gagner les bonnes grâces de Ludovic Sforza. Il abandonne donc son tableau51,4.
Le troisième travail important de cette période est La Vierge aux rochers qui a été commandée à Milan pour la confrérie de l'Immaculée Conception. La peinture, faite avec l'assistance des frères, devait combler un grand retable, déjà construit26. Léonard a choisi de peindre un passage de l'enfance du Christ tiré des évangiles apocryphes, lorsque le petit Jean le Baptiste, sous la protection d'un ange, a rencontré la sainte Famille sur la route de l'Égypte. Dans cette scène, telle qu'elle a été peinte par Léonard de Vinci, Jean reconnaît et vénère Jésus comme le Christ. Le tableau montre des personnages gracieux s'agenouillant en adoration devant le Christ dans un environnement sauvage et un paysage rocheux52. Le tableau est quasiment aussi complexe que la peinture commandée par les moines de San Donato, même s'il a seulement quatre personnages et non cinquante et s'il dépeint un paysage plutôt qu'un fond architectural. Le tableau a été achevé mais, en fait, deux versions de la peinture ont été faites, celle qui est restée à la chapelle de la confrérie, et l'autre qu'a emportée Léonard en France. Mais les frères n'ont pas eu leur peinture avant le siècle suivant4,13. Une seconde version de ce tableau, avec l'ajout des auréoles et du bâton de Jean le Baptiste sera faite quelques années plus tard.
La plus célèbre peinture de Léonard pour la période des années 1490 est La Cène. Elle est peinte directement sur un mur du couvent Santa Maria delle Grazie à Milan. La peinture représente le dernier repas partagé par Jésus et ses disciples avant sa capture et sa mort. Il montre précisément le moment où Jésus déclare : « l'un de vous va me trahir ». Léonard dépeint la consternation que cette déclaration a causé à l'ensemble des douze disciples de Jésus13.
Matteo Bandello a observé Léonard au travail et il écrit, dans une de ses nouvelles, que, certains jours, il peint de l'aube au crépuscule sans même s'arrêter pour manger, et puis ne peint plus les trois ou quatre jours suivants26. Selon Vasari, cela provoque l'incompréhension du père supérieur, le prieur, qui chasse le peintre, jusqu'à ce que Léonard demande au duc de Milan Ludovic Sforza d'intervenir. Vasari décrit également comment Vinci doute de sa capacité à peindre proprement les visages de Jésus et de Judas, disant au duc qu'il a peut-être utilisé le moine pour modèle12.
Lorsque la fresque est achevée, elle est saluée comme un chef-d'oeuvre de conception et de caractérisation12, obtenant même plus tard l'admiration de Pierre Paul Rubens et de Rembrandt18. L'oeuvre a été restaurée sans cesse, la peinture se détachant du support en plâtre7. La peinture s'est détériorée rapidement, de telle sorte qu'avant même le centième anniversaire de sa création, elle a été décrite par un témoin comme « totalement dévastée »4. Léonard, au lieu d'utiliser la technique éprouvée de la fresque, a utilisé la « technique de la tempera », un procédé de peinture utilisant le jaune d'oeuf comme médium pour lier les pigments, alors que le support est principalement « gesso », un type de craie fait de carbonate de calcium minéral, ce qui a produit une surface sujette à la moisissure et à l'écaillage4. Malgré ces déboires, la Cène est restée l'une des oeuvres d'art les plus reproduites.
Parmi les oeuvres créées par Léonard dans les années 1500 se trouve un petit portrait connu sous le nom de La Joconde (1503-1506) ou de, notamment pour les anglophones, « Mona Lisa ». Le tableau est connu, en particulier, pour l'insaisissable sourire sur le visage de la femme, dont les experts s'accordent à dire qu'il s'agit de Lisa Gherardini. La qualité de la peinture est peut-être liée au fait que l'artiste a subtilement ombré les coins de la bouche et les yeux, afin que la nature exacte du sourire ne puisse être déterminée. La qualité des ombres pour lesquelles le travail est réputé a été appelé « sfumato » ou « la fumée de Léonard ». Giorgio Vasari a écrit que « le sourire est si agréable qu'il semble divin plutôt qu'humain ; ceux qui l'ont vu ont été très surpris de constater qu'il semble aussi vivant que l'original »12. Néanmoins, pendant longtemps, les experts ont généralement admis que Vasari a pu n'avoir jamais connu la peinture autrement que par sa renommée car il l'a décrite comme ayant des sourcils. Une analyse spectroscopique à haute résolution a permis de confirmer l'hypothèse de Daniel Arasse qui, dans son livre Leonardo da Vinci (1997), discutait de la possibilité que Léonard ait pu avoir peint le visage avec des sourcils, mais qu'ils ont ensuite été enlevés, notamment parce qu'ils n'étaient pas en vogue au milieu du xvie siècle. Effectivement, La Joconde aurait eu des sourcils et des cils qui ont par la suite été enlevés53.
Les autres caractéristiques de ce travail sont la sévérité vestimentaire, laissant les yeux et les mains non concurrencés par d'autres détails, le paysage de fond spectaculaire, le travail des couleurs et la nature de la technique de peinture très douce employant des huiles, mais posées un peu comme la tempera et mélangées à la surface de sorte que les coups de pinceaux semblent indissociables. Vasari a exprimé l'avis que la façon de peindre ferait même « le plus confiant des maîtres [de la peinture]... désespérer et perdre courage »12. L'état de conservation remarquable et le fait qu'il n'y ait aucun signe visible de réparations ou de surcouches repeintes sont extrêmement rares pour une peinture de cette période4.
Dans La Vierge, l'Enfant Jésus et sainte Anne, la composition reprend de nouveau le thème de personnages dans un paysage que Jack Wasserman, dans son livre Leonardo da Vinci (1975), qualifie de « saisissant par sa beauté »26 et renvoie à la peinture inachevée de saint Jérôme avec le personnage faisant un angle oblique avec l'un de ses bras. Ce qui rend La Vierge, l'Enfant Jésus et sainte Anne si rare est la présence de deux ensembles dans une perspective différente mais se superposant. Marie est assise sur les genoux de sa mère, sainte Anne. Elle se penche en avant pour prendre dans ses bras l'enfant Jésus qui joue avec un agneau, signe de l'imminence de son propre sacrifice13. Ce tableau, qui a été copié à plusieurs reprises, a influencé Michel-Ange, Raphaël et Andrea del Sarto4 et, à travers eux, Pontormo et Le Corrège. Le style de la composition a été adopté en particulier par les peintres vénitiens Le Tintoret et Paul Véronèse.
Vinci n'a pas été un peintre prolifique, mais il l'a été comme dessinateur, remplissant ses journaux de petits croquis et de dessins détaillés afin de garder une trace de tout ce qui avait attiré son attention. En plus de ses notes, il existe de nombreuses études pour ses peintures, dont certaines peuvent être considérées comme préparatoires à des travaux tels que L'Adoration des mages, La Vierge aux rochers et La Cène54. Son premier dessin daté est un paysage, Paysage de la vallée de l'Arno (1473), qui montre la rivière, les montagnes, le château Montelupo et les exploitations agricoles au-delà de celui-ci dans le plus grand détail9,54.
Parmi ses célèbres dessins, il y a l'homme de Vitruve, une étude des proportions du corps humain, la Tête de l'ange, La Vierge aux Rochers et La Vierge, l'Enfant Jésus avec sainte Anne et saint Jean Baptiste, qui est un grand carton (160 × 100 cm) en craie blanche et noire sur un papier de couleur de sainte Anne54. Ce thème de sainte Anne sera, avec la sainte Famille, la dominance de l'oeuvre de Léonard de 1500 à 151722. Ce dessin emploie la technique subtile du sfumato, à la manière de La Joconde. Léonard ne semble jamais avoir fait une peinture à partir de ce dessin, mais un tableau assez proche en est La Vierge, l'Enfant Jésus et sainte Anne4.
Les autres dessins d'intérêt comprennent de nombreuses études généralement dénommées « caricatures » parce que, bien qu'exagérées, elles semblent être basées sur l'observation de modèles vivants. Giorgio Vasari rapporte que, si Léonard voyait une personne qui avait un visage intéressant, il la suivait toute la journée pour l'observer12. Il existe de nombreuses études de beaux jeunes hommes, souvent associées à Salai, avec le visage rare, très admiré et caractéristique que l'on appelle le « profil grec »Note 16. Ces visages sont souvent en contraste avec ceux d'un guerrier54. Salai est souvent dépeint dans des costumes et des déguisements. Léonard est connu pour avoir conçu des décors pour des processions traditionnelles. D'autres dessins, souvent minutieux, montrent des études de draperies. Le Musée Léon-Bonnat de Bayonne conserve un dessin de Léonard de Vinci représentant Bernardo di Bandino Baronchelli (un des assassins de Julien de Medicis lors de la conjuration des Pazzi), après sa pendaison à l'une des fenêtres du Palazzo del Capitano di Giustizia à Florence, le 29 décembre 147955.
L'humanisme de la Renaissance ne lie pas les sciences et les arts. Cependant, les études de de Vinci en sciences et en ingénierie sont aussi impressionnantes et novatrices que son travail artistique, enregistrées dans des carnets de notes comprenant quelque treize mille pages d'écriture et de dessins, qui associent art et philosophie naturelle (le base de la science moderne). Ces notes ont été réalisés et mises à jour quotidiennement pendant toute la vie et les voyages de Léonard. Continuellement, il s'efforce de faire des observations du monde qui l'entourait13, conscient et fier d'être, comme il se définissait, un « homme sans lettres », autodidacte et lucide sur les phénomènes naturels souvent bien éloignés de ce qui était appris à l'école18.
Ces journaux sont pour la plupart rédigés dans une écriture spéculaire, plus communément appelée « écriture en miroir ». La raison peut avoir été davantage un besoin pratique, pour être plus rapide, que pour des raisons de chiffrement comme cela est souvent suggéré. Comme Léonard écrivait avec sa main gauche, il devait être plus facile pour lui d'écrire de droite à gauche.
Ses notes et dessins, dont les plus anciens sont datés de 147517, montrent une grande variété d'intérêts et de préoccupations, mais aussi certaines listes quelconques d'épicerie ou de ses débiteurs. Il y a des compositions pour des peintures, des études de détails et de tapisseries, des études de visages et d'émotions, des animaux, des bébés, des dissections, des études botaniques et géologiques, des machines de guerre, des machines volantes et des travaux architecturaux13.
Ces carnets de notes - initialement des feuilles volantes de différentes tailles et de différents types, données par ses amis après sa mort - ont trouvé leur place dans les collections importantes comme celles exposées au château de Windsor, au musée du Louvre, à la Bibliothèque nationale d'Espagne, à la Bibliothèque ambrosienne de Milan, au Victoria and Albert Museum et à la British Library de Londres. La British Library a mis une sélection à partir de ses notes (BL Arundel MS 263) sur l'Internet dans les pages de son site abordant ce chapitre56. Le Codex Leicester est le seul grand travail scientifique de Vinci qui soit entre les mains d'un propriétaire privé (Bill Gates).
Les journaux de Léonard semblent avoir été destinés à la publication, car beaucoup de feuilles ont une forme et un ordre qui en faciliteraient l'édition. Dans de nombreux cas, un seul thème, par exemple, le coeur ou le foetus humain, est traité en détail à la fois dans les mots et les images, sur une seule feuille57. Ce mode d'organisation minimise également la perte de données dans le cas où les pages seraient mélangées ou détruites. La raison pour laquelle ces journaux n'ont pas été publiés alors que Léonard était encore en vie est inconnue13, mais certains estiment que la société n'était pas prête pour cela, notamment l'Église vis-à-vis de ses travaux anatomiques.
L'approche de la science par Léonard est très liée à l'observation : si « la Science est le capitaine, la pratique est le soldat »18. Sa science, ses recherches scientifiques ne portent exclusivement que sur les parties qu'il a pratiquées en technicien8. Léonard de Vinci a essayé de comprendre un phénomène en le décrivant et en l'illustrant dans les plus grands détails, en n'insistant pas trop sur les explications théoriques. Ses études sur le vol ou le mouvement de l'eau sont sans doute ce qu'il y a de plus remarquable à ce sujet. Comme il manquait d'instruction initiale en latin et en mathématiques, les chercheurs contemporains ont largement ignoré le savant Léonard, bien qu'il ait appris par lui-même le latin.
Dans les années 1490, il a étudié les mathématiques à la suite de Luca Pacioli et a fait une série de dessins de solides réguliers dans une forme squelettique afin de les faire graver pour son livre Divina Proportione (1509)13. Il est alors particulièrement fasciné par l'idée de l'absolu et de l'universel18. Cependant, sa culture mathématique est celle d'un praticien : elle a les objectifs limités des abacistes de son temps, il pénètre avec peine la géométrie des Grecs, sa perspective est celle de tous les théoriciens de son temps. Néanmoins, Léonard a conçu un instrument à système articulé destiné à construire une solution mécanique du problème d'Alhazen, problème essentiellement technique, et qui témoigne d'une connaissance approfondie des propriétés des coniques8.
De même, la mécanique de Léonard est celle de ses contemporains, avec ses faiblesses, ses incertitudes, ses erreurs et il ne paraît pas qu'il ait apporté beaucoup de découvertes en la matière. Sa physique est assez confuse et vague. Il ne fut certainement jamais artilleur et n'a pas de théorie relative à la balistique. Pourtant, comme l'attestent certains de ses schémas, Léonard de Vinci eut peut-être l'intuition, comme on pouvait l'observer sur un jet d'eau, qu'il n'existait pas de partie rectiligne dans la trajectoire d'un projectile d'artillerie contrairement à ce qui était couramment admis à l'époque. Mais il s'arrêta très vite sur une voie que Tartaglia puis Benedetti allaient suivre et qui mena à Galilée 8
Si Alberti ou Francesco di Giorgio Martini se préoccupèrent de la solidité des poutres, jamais ils n'avaient cherché de formulations mathématiques. Léonard de Vinci s'intéresse au problème de la flexion, sans doute à l'aide d'expériences, et parvient à définir des lois, encore imparfaitesNote 17, de la ligne élastique pour des poutres de différentes sections, libres ou encastrées dont le problème de Galilée (problème du balcon). Ce faisant, il élimine le module d'élasticité et le moment auquel avait pourtant fait allusion Jordanus Nemorarius8
Sa chimie se borne à la mise au point d'un alambic et aux quelques recherches d'alchimie qu'il pratiqua à Rome8.
Paul Valéry met en avant la manière dont Léonard de Vinci a découvert intuitivement par l'observation « le premier germe de la théorie des ondulations lumineuses », sans cependant pouvoir la valider de manière expérimentale : « L'air est rempli d'infinies lignes droites et rayonnantes, entrecroisées et tissées sans que l'une n'emprunte jamais le parcours d'une autre, et elles représentent pour chaque objet la vraie forme de leur raison (de leur explication). »58.
Léonard de Vinci étudia aussi beaucoup la lumière et l'optique25 ; en hydrologie, la seule véritable loi qu'il ait formulé est celle du débit des cours d'eau.
Il semble que, à partir du contenu de ses carnets, il ait envisagé de publier une série de traités sur une grande variété de sujets. À plusieurs reprises il mentionne un projet de traité de l'eau, mais qui paraît avoir été si considérable dans sa pensée qu'il semblait irréalisable8. Un traité d'anatomie aurait été observé au cours d'une visite par le secrétaire du cardinal Louis d'Aragon en 151759. Les aspects de son travail sur les études de l'anatomie, de la lumière et des paysages ont été rassemblés pour la publication par son élève Francesco Melzi et finalement publiés en 1651 en Italie, longtemps après sa mort, sous le nom de Traité de la peinture par Léonard de Vinci13,54,60. Selon Daniel Arasse, le traité a été publié en France bien plus tard mais eut soixante-deux éditions en cinquante ans, ce qui fait que Léonard est souvent considéré comme « le précurseur de la pensée universitaire française sur l'art »13.
La formation initiale de Léonard à l'anatomie du corps humain a commencé lors de son apprentissage avec Andrea del Verrocchio, son maître insistant sur le fait que tous ses élèves apprennent l'anatomie. Comme artiste, il est rapidement devenu maître de l'anatomie topographique, en s'inspirant de nombreuses études des muscles, des tendons et d'autres caractéristiques anatomiques visibles. Il pose les bases de l'anatomie scientifique, disséquant notamment des cadavres de criminels dans la plus stricte discrétion, pour éviter l'Inquisition. Les conditions de travail sont particulièrement pénibles à cause des problèmes d'hygiène et de conservation des corps.
Comme artiste connu, il a reçu l'autorisation de disséquer des cadavres humains à l'hôpital de Santa Maria Nuova à Florence et, plus tard, dans les hôpitaux de Milan et de Rome. De 1510 à 1511, il a collaboré dans ses recherches avec le médecin Marcantonio della Torre et, ensemble, ils ont compilé un ensemble de travaux théoriques sur l'anatomie avec plus de deux cents dessins de Léonard. Il a été publié sous le nom peu évident de Traité de la peinture en 1680.
Léonard a dessiné de nombreux squelettes humains, des os, ainsi que les muscles et les tendons, le coeur et le système vasculaire, l'action de l'oeil, les organes sexuels et d'autres organes internes. Ces observations contiennent parfois des inexactitudes dues aux connaissances de l'époque7, il n'a par exemple jamais entrevu la circulation du sang8. Il a fait l'un des premiers dessins scientifiques d'un foetus dans l'utérus54 et la première constatation scientifique de la rigidité des artères suite à une crise cardiaque. Comme artiste, Léonard observa de près les effets de l'âge et de l'émotion humaine sur la physiologie, en étudiant en particulier les effets de la rage. Il a également dessiné de nombreux modèles dont certains avec d'importantes déformations faciales ou des signes visibles de maladie13,54.
Il a aussi étudié et dessiné l'anatomie de nombreux animaux. Il a disséqué des vaches, des oiseaux, des singes, des ours et des grenouilles, comparant la structure anatomique de ces animaux avec celle de l'homme. Il étudia également les chevaux.
Léonard de Vinci s'inscrit dans le courant technicien de la Renaissance et, comme tel, il eut des prédécesseurs immédiats ou plus lointains parmi lesquels on peut citer Konrad Kyeser, Taccola, Roberto Valturio, Filippo Brunelleschi, Jacomo Fontana ou encore Leon Battista Alberti à qui il doit sans doute beaucoup8.
Certains furent des personnalités plus puissantes, des esprits plus complets, des curiosités plus larges encore. C'est le cas de Francesco di Giorgio Martini, qui fut son supérieur lors de la construction du dôme de Milan et à qui il emprunta certainement beaucoup8. Étant sans doute moins occupé par ses réalisations que ce dernier du fait d'un carnet de commandes moins rempli, Léonard de Vinci sera à la fois plus prolixe mais surtout capable d'un changement de méthode.
Léonard est considéré comme le précurseur de nombre de machines modernes et, au-delà de l'étonnement éprouvé face à l'imagination prospective de l'auteur, on peut vite constater que le fonctionnement réel de la machine n'a pas dû être son souci premier. Comme le moine Eilmer de Malmesbury au xie siècle qui avait oublié la queue dans sa machine volante, les inventions de Léonard butent sur de nombreuses difficultés : l'hélicoptère s'envolerait comme une toupie, le scaphandrier s'asphyxierait, le bateau à aubes n'avancerait pas... De plus, dans ces épures, Léonard ne pose jamais le problème de la force motrice61.
Dans une lettre adressée à Ludovic Sforza, il prétend être capable de construire toutes sortes de machines à la fois pour la protection de la ville et pour le siège62. Quand il a fui à Venise en 1499, il a trouvé un emploi d'ingénieur et a développé un système de barrières mobiles pour protéger la ville contre les attaques terrestres. Il a également eu pour projet de détourner la circulation de l'Arno afin d'irriguer les champs toscans, de faciliter le transport et même de gêner l'approvisionnement maritime de Pise, la rivale de Florence22.
Ses carnets présentent un grand nombre d'« inventions », à la fois pratiques et réalistes, notamment des pompes hydrauliques, des mécanismes à manivelle comme la machine à tailler les vis de bois, des ailettes pour les obus de mortier, un canon à vapeur9,13, le sous-marin, plusieurs automates, le char de combat, l'automobile, des flotteurs pour « marcher sur l'eau », la concentration d'énergie solaire, la calculatrice, le scaphandre à casque, la double coque ou encore le roulement à billes. La paternité de la bicyclette est quant a elle très controverséeNote 18.
Un examen attentif de ces épures indique cependant que nombre de ces techniques furent, soit empruntées à quelques prédécesseurs immédiats (la turbine hydraulique à Francesco di Giorgio Martini, la chaîne articulée pour la transmission des mouvements à Taccola...), soit l'héritage d'une tradition encore plus ancienne (le martinet hydraulique est connu au xiiie siècle, les siphons et aqueducs sont visibles chez Frontin, les automates de divertissement décrit par les mécaniciens grecs...)8. Pourtant Léonard fut aussi novateur ; il est sans doute l'un des premiers dans le cercle des ingénieurs de l'époque à s'intéresser au travail mécanique du métal et en particulier de l'or, plus malléable. Avec la machine volante, les quelques machines textiles, pour lesquels la régularité des mouvements mis en oeuvre lui permettent d'appliquer son sens de l'observation, signent son originalité. Le métier mécanique, la machine à carder et celle à tondre les draps font sans doute de Léonard, le premier qui chercha à mécaniser une fabrication industrielle. La machine à polir les miroirs, qui supposait la solution d'un certain nombre de problèmes pour obtenir des surfaces régulières, planes ou concaves, a été imaginée pendant son séjour romain alors qu'il étudiait la fabrication des images. Paradoxalement, Léonard de Vinci s'intéressa peu à des inventions que nous jugeons aujourd'hui très importantes telles que l'imprimerie, même s'il est un des premiers à nous donner une représentation d'une presse d'imprimerie8.
Si la guerre peut répondre à une nécessité, elle est « pazzia bestialissima »18 (une « folie sauvage »). Il étudie donc les armes tout en gardant du recul quant à leur utilisation.
En 1502, Léonard a dessiné un pont de deux cent quarante mètres dans le cadre d'un projet de génie civil pour le sultan ottoman Bayezid II d'Istanbul. Le pont était destiné à franchir l'embouchure du Bosphore connue sous le nom de la « Corne d'Or ». Beyazid ne poursuit pas le projet, car il estime que cette construction serait impossible. La vision de Léonard a été ressuscitée en 2001 quand un petit pont basé sur sa conception a été construit en Norvège. Le 17 mai 2006, le gouvernement turc a décidé de construire le pont de Léonard pour la Corne d'Or63.
Pendant la majeure partie de sa vie, Léonard a été, comme Icare, fasciné par le vol. Il a produit de nombreuses études sur ce phénomène en s'inspirant des oiseaux et des plans de vol de plusieurs appareils, dont les prémices d'hélicoptère nommées la « vis aérienne », le parachute et un deltaplane13 en bambou. Sur ce nombre, la plupart étaient irréalisables, mais le deltaplane a été construit, et, avec l'ajout un empennage pour la stabilité, a volé avec succès. Néanmoins, il semble probable qu'il estimait que les systèmes proches des chauves-souris avaient le plus gros potentiel18. Il inventa également la soufflerie aérodynamique pour ses travaux.
Le musée du clos Lucé à Amboise, le musée Il Castello situé au château de comtes Guidi de Vinci et le Musée des Sciences et des Techniques Léonard de Vinci de Milan contiennent de nombreuses maquettes, des objets grandeur nature basés sur l'étude de ses carnets et des explications sur son travail.
De Vinci a également étudié l'architecture. Il est influencé par les travaux de Filippo Brunelleschi et a projeté de surélever le baptistère Saint-Jean de Florence17 ou de créer une tour-lanterne pour la cathédrale de Milan18. Il utilise souvent la forme octogonale pour les bâtiments religieux et le cercle pour les militaires22. Suite à la peste qui frappe Milan vers 1484 et 1485, il conçoit une ville parfaite théorique avec des axes de circulation optimaux et des conditions de vie de qualité, sa vision n'est pas marquée par des distinctions sociales mais fonctionnelles, tels des organes dans un corps humain18. Il travaille également sur les jardins25. Néanmoins, beaucoup de ses travaux sur l'architecture seront perdus.
On doit reconnaître à Léonard de Vinci un besoin de rationaliser inconnu jusqu'alors chez les techniciens. Avec lui la technique n'est plus affaire d'artisans, de personnes ignorantes et de traditions plus ou moins valables et plus ou moins comprises par ceux qui étaient chargés de l'appliquer.
C'est d'abord par les échecs, par les erreurs, par les catastrophes qu'il essaie de définir la vérité : les lézardes des murs, les affouillements destructeurs des berges, les mauvais mélanges de métal sont autant d'occasions de connaître les bonnes pratiques.
Progressivement, il élabore une sorte de doctrine technique, née d'observations, bientôt suivies d'expériences qui furent parfois conduites sur de petits modèles. Harald Höffding présente sa pensée comme un mélange d'empirisme et de naturalisme64. En effet si pour Léonard de Vinci « La sagesse est la fille de l'expérience »65, elle permet de vérifier constamment ses intuitions et théories car « L'expérience ne se trompe jamais ; ce sont vos jugements qui se trompent en se promettant des effets qui ne sont pas causés par vos expérimentations »65.
La méthode de Léonard de Vinci a certainement consisté dans la recherche de données chiffrées et son intérêt pour les instruments de mesure en témoigne. Ces données étaient relativement faciles à obtenir dans le cas des poutres en flexion par exemple, beaucoup plus compliquées dans le domaine des arcs ou de la maçonnerie. La formulation des résultats ne pouvait être que simple, c'est-à-dire exprimée le plus souvent par des rapports. Cette recherche effrénée de l'exactitude est devenue la devise de Léonard de Vinci, « Hostinato rigore - obstinée rigueur »66. C'est néanmoins la première fois qu'on voit appliquer de telles méthodes dans les métiers où on dut longtemps se contenter de moyens irraisonnés d'appréciation.
Ce faisant, Léonard en est arrivé à pouvoir poser des problèmes en termes généraux. Ce qu'il cherche avant tout ce sont des connaissances générales, applicables dans tous les cas, et qui sont autant de moyens d'action sur le monde matériel. Pour autant sa « science technique » reste fragmentaire. Elle s'attache à un certain nombre de problèmes particuliers, traités très étroitement, mais il y manque encore la cohérence d'ensemble qu'on trouvera bientôt chez ses successeurs8.
Pour lui, cette recherche dans tous les domaines de la science et de l'art est normale car tout est lié. Sa curiosité et son activité perpétuelle sont un moyen de garder un esprit vivace car « Le fer se rouille, faute de s'en servir, l'eau stagnante perd de sa pureté et se glace par le froid. De même, l'inaction sape la vigueur de l'esprit »65. Léonard de Vinci considère la peinture par exemple comme l'expression visuelle d'un tout, l'art, la philosophie et la science sont selon lui indissociables, pouvant expliquer en partie son approche de polymathe et « Qui blâme la peinture n'aime ni la philosophie ni la nature »65. En proposant une « synthèse par la beauté », Léonard de Vinci illustre à lui seul ce que fut le grand courant d'innovation de la Renaissance67.
Léonard de Vinci pense que l'homme doit s'engager activement à combattre le mal et faire le bien car « Celui qui néglige de punir le mal aide à sa réalisation »65. Il indique également qu'il ne se fait aucune illusion sur la nature de l'homme, et de la façon dont il pourrait utiliser ses inventions, comme il le fait en préambule à une présentation du sous-marin :
Léonard de Vinci place également la récompense morale bien au-dessus des récompenses matérielles :
Léonard de Vinci incarne parfaitement l'esprit de la Renaissance, époque des « Grandes Découvertes ». Génie universel, curieux de tout, parfois vu comme un personnage entre Faust et Platon25, il a consacré sa vie à la recherche de la connaissance. Il imagine de multiples appareils et machines, dont la première « machine volante », qui resteront au stade de dessins. Plus qu'en tant que scientifique proprement dit, Léonard de Vinci a impressionné ses contemporains et les générations suivantes par son approche méthodique du savoir, du savoir apprendre, du savoir observer, du savoir analyser. La démarche qu'il déploie dans l'ensemble des activités qu'il aborde, aussi bien en art qu'en technique - les deux ne se distinguant d'ailleurs pas dans son esprit - notamment en horlogerie, procède d'une accumulation préalable d'observations détaillées, de savoirs disséminés çà et là, qui tend vers un surpassement de ce qui existe déjà, avec la perfection pour objectif. Bon nombre des croquis, notes et traités de Léonard de Vinci ne sont pas à proprement parler des trouvailles originales, mais sont le résultat de recherches effectuées dans un souci encyclopédique, avant l'heure. Léonard de Vinci se classe mal et c'est en ce sens qu'il a paru exceptionnel8.
De son vivant, Léonard a déjà une renommée telle que le roi de France l'a ramené dans son pays comme un trophée, et a affirmé l'avoir accompagné dans sa vieillesse et l'avoir tenu dans ses bras quand il est mort ; affirmation qui semble néanmoins fausse quant à sa mort, malgré le tableau de Dominique Ingres sur ce thème.
L'intérêt pour de Vinci n'a jamais diminué depuis cette période. Giorgio Vasari, dans Le Vite, dans son édition de 156812 introduit son chapitre sur Léonard de Vinci avec les mots suivants :
L'admiration continue de Léonard qu'ont eu les peintres, les critiques et les historiens se reflète dans de nombreux autres hommages écrits. Baldassare Castiglione, auteur du Livre du courtisan, écrit, en 1528 : « [...] Un autre des plus grands peintres de ce monde, qui regarde d'en haut son art dans lequel il est sans égal [...] »69 tandis que le biographe connu sous le nom de Anonimo Gaddiano a écrit, vers 1540 : « Il fut si exceptionnel et universel qu'on peut le dire né d'un miracle de la nature [...] »70.
Le xixe siècle a introduit une certaine admiration pour le génie Léonard, Johann Heinrich Füssli écrivant en 1801 : « Ainsi fut l'aube de l'art moderne, lorsque Léonard de Vinci apparut avec une splendeur qui distançait l'excellence habituelle : composé de tous les éléments qui constituent l'essence même du génie [...] »71, ce qui est repris par A. E. Rio, qui écrit en 1861 : « Il était au-dessus de tous les autres artistes grâce à la force et la noblesse de ses talents »72. La variété du champ d'application de Léonard, transmise par ses carnets est connue, ainsi que ses peintures. Hippolyte Taine écrit en 1866 : « Il ne peut sans doute pas y avoir dans le monde un exemple d'un génie si universel, si capable de s'épanouir, si empli de nostalgie envers l'infini, si naturellement raffiné, si autant en avance sur son propre siècle et les siècles suivants »73. Le célèbre historien d'art Bernard Berenson écrit en 1896 : « Léonard est un artiste dont on peut dire avec une parfaite littéralité : rien de ce qu'il a touché ne s'est transformé en une chose d'une éternelle beauté. Qu'il s'agisse de la section transversale d'un crâne, la structure d'une mauvaise herbe ou une étude des muscles, il l'a, avec son sens de la ligne et de la lumière et de l'ombre, à jamais transformée en des valeurs qui communiquent la vie »74. Charles Baudelaire le cite même dans Les Fleurs du mal (1857)75.
L'intérêt pour le génie Léonard s'est maintenu sans relâche ; des experts étudient et traduisent ses écrits, analysent ses tableaux en utilisant des techniques scientifiques, argumentent sur les oeuvres qu'on lui attribue et recherchent des oeuvres qui ont été enregistrées mais jamais découvertes76. La critique d'art Liana Bortolon écrit dans son livre The Life and Times of Leonardo (1967) : « En raison de la multiplicité des intérêts qui l'ont incité à poursuivre tous les domaines de connaissances, [...] Léonard peut être considéré, à juste titre, d'avoir été le génie universel par excellence et avec toutes les harmoniques inhérentes à ce terme. L'homme est aussi mal à l'aise aujourd'hui face à un génie qu'il l'a été au xvie siècle. Cinq siècles se sont écoulés et nous voyons encore Léonard avec une grande frayeur »9. Les foules font toujours la queue pour voir ses plus célèbres oeuvres d'art : par exemple, le musée du Louvre doit une grande part de sa notoriété à La Joconde.
Avec le best-seller Da Vinci Code, roman mêlant faits historiques et artifices scénaristiques, Dan Brown a donné un nouvel élan à l'intérêt pour de Vinci en 2003. Le roman a également été adapté au cinéma par Ron Howard. D'après un article du Monde77, la boîte de vitesse de la Tata Nano a été imaginée à partir d'un modèle Léonard de Vinci : il s'agit tout simplement d'une lanterne en forme de tronc de cône qu'il était sans doute difficile de manoeuvrer pour la laisser en contact avec la roue dentée sur laquelle elle s'engrenait8.
En 2007, un couple de chercheurs italiens a émis une hypothèse sur la présence d'une partition de musique cachée à l'intérieur de La Cène. La disposition des mains des personnages et des pains sur la table donnerait une petite mélodie78.
Le 26 avril 2008, un saut en parachute selon les croquis et texte datant de 1485 et réalisé par Leonard de Vinci a été réalisé. Le Suisse Olivier Vietti-Teppa, s'est élancé au-dessus de l'aéroport militaire de Payerne depuis un hélicoptère en vol stationaire à 650 mètres d'altitude avec un réplique du parachute, fabriquée avec des matériaux modernes79 : il mesura une vitesse de chute de 3,9 m/s et put atterrir normalement80. En 2000, le Britannique Adrian Nicholas avait également réalisé un saut avec une réplique du parachute, mais celui-ci étant plus fidèle à l'original, il pesait 80 kg et présentait des risques à l'atterrissage. L'homme avait abandonné la réplique en vol pour faire un atterrissage avec un parachute actuel.
Le 18 décembre 2008, lors d'une restauration, du personnel du musée du Louvre à Paris découvre trois dessins, représentant une tête de cheval, un crâne et un enfant au dos de La Vierge, l'Enfant Jésus et sainte Anne, vraisemblablement de Léonard de Vinci81.